C'est à ce sentiment qu'obéissaient d'instinct, il n'y a encore que
quelques années, les Québecquois qui vous disaient:
- Mon cher, vous partez pour Montréal, veuillez donc vous charger de
cette lettre.
Cette lettre vous coûtait d'ennui, d'embarras et même d'argent, cent fois
les trois sous que ce monsieur aurait payé en mettant simplement son envoi
à la poste; mais il ne réfléchissait pas à cela.
Il espérait que sa lettre serait remise personnellement; et cela doublait,
par l'imagination, la satisfaction qu'il avait eue de l'écrire.
Et celui qui recevait la lettre donc!
- Vraiment, c'est lui-même qui vous a confié ceci? Vous l'avez vu?
Vous lui avez parlé? Comment est-il? Que chante-t-il de bon? etc.
- Vous avez vu mon père avant de partir! me disait un jour, toute
tremblante d'émotion, une bonne religieuse canadienne que je retrouvais à
Blois, en France. J'ai presque envie de vous embrasser.
Elle recevait des lettres de sa famille toutes les semaines, cependant.
Mais quelqu'un qui avait vu son père, qui lui avait parlé, qui lui avait
serré la main, ce n'était pas la même chose!
Avec cela qu'en confiant une lettre à Chouinard, on faisait une charité
déguisée, - et personne n'ignore que c'est la plus agréable à faire après tout.