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| Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius | |
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Auteur | Message |
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| Sujet: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:08 | |
| Rappel du premier message :
Gargantua , liv. 1, ch. XI.
- Kling, kling, kling! - Pas de réponse. - Est-ce qu'il n'y serait pas? dit la jeune fille.
Elle tira une seconde fois le cordon de la sonnette; aucun bruit ne se fit entendre dans l'appartement: il n'y avait personne.
- C'est étrange!
Elle se mordit la lèvre, une rougeur de dépit passa de sa joue à son front; elle se mit à descendre les escaliers un à un, bien lentement, comme à regret, retournant la tête pour voir si la porte fatale s'ouvrait. - Rien.
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Auteur | Message |
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Invité Invité
| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:24 | |
| Un doigt se posa sur son épaule, il tressaillit comme s'il se fût réveillé en sursaut. Il vit devant lui madame de ***, qui depuis un quart d'heure se tenait debout sans pouvoir attirer son attention.
- Eh bien! Monsieur, à quoi pensez-vous donc? A moi, peut-être?
- A rien, je vous jure.
Il se leva, madame de *** prit son bras; ils firent quelques tours. Après plusieurs propos:
- J'ai une grâce à vous demander.
- Parlez, vous savez bien que je ne suis pas cruel surtout avec vous.
- Récitez à ces dames la pièce de vers que vous m'avez dite l'autre jour, je leur en ai parlé, elles meurent d'envie de l'entendre.
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:24 | |
| A cette proposition, le front d'Onuphrius se rembrunit, il répondit par un non bien accentué; madame de *** insista comme les femmes savent insister. Onuphrius résista autant qu'il le fallait pour se justifier à ses propres yeux de ce qu'il appelait une faiblesse, et finit par céder, quoique d'assez mauvaise grâce.
Madame de ***, triomphante, le tenant par le bout du doigt pour qu'il ne pût s'esquiver, l'amena au milieu du cercle, et lui lâcha la main; la main tomba comme si elle eût été morte. Onuphrius, décontenancé, promenait autour de lui des regards mornes et effarés comme un taureau sauvage que le picador vient de lancer dans le cirque. Le dandy à barbe rouge était là, retroussant ses moustaches et considérant Onuphrius d'un air de méchanceté satisfaite. Pour faire cesser cette situation pénible, madame de *** lui fit signe de commencer. Il exposa le sujet de sa pièce, et en dit le titre d'une voix assez mal assurée. Le bourdonnement cessa, les chuchotements se turent, on se disposa à écouter, un grand silence se fit. |
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:25 | |
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Onuphrius était debout, la main sur le dos d'un fauteuil qui lui servait comme de tribune. Le dandy vint se placer tout à côté, si près qu'il le touchait; quand il vit qu'Onuphrius allait ouvrir la bouche, il tira de sa poche une spatule d'argent et un réseau de gaze, emmanché à l'un de ses bouts d'une petite baguette d'ébène; la spatule était chargée d'une substance mousseuse et rosâtre, assez semblable à la crème qui remplit les meringues, qu'Onuphrius reconnut aussitôt pour des vers de Dorat, de Boufflers, de Bernis et de M. le chevalier de Pezay, réduits à l'état de bouillie ou de gélatine. Le réseau était vide.
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:25 | |
| Onuphrius, craignant que le dandy ne lui jouât quelque tour, changea le fauteuil de place, et s'assit dedans; l'homme aux yeux verts vint se planter juste derrière lui; ne pouvant plus reculer, Onuphrius commença. A peine la dernière syllabe du premier vers s'était-elle envolée de sa lèvre, que le dandy, allongeant son réseau avec une dextérité merveilleuse le saisit au vol, et l'intercepta avant que le son eût le temps de parvenir à l'oreille de l'assemblée; et puis, brandissant sa spatule il lui fourra dans la bouche une cuillerée de son insipide mélange. Onuphrius eût bien voulu s'arrêter ou se sauver; mais une chaîne magique le clouait au fauteuil. Il lui fallut continuer et cracher cette odieuse mixture en friperies mythologiques et en madrigaux quintessenciés. Le manège se renouvelait à chaque vers; personne, cependant, n'avait l'air de s'en apercevoir.
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:25 | |
| Les pensées neuves, les belles rimes d'Onuphrius, diaprées de mille couleurs romantiques, se débattaient et sautelaient dans la résille comme des poissons dans un filet ou des papillons sous un mouchoir.
Le pauvre poète était à la torture, des gouttes de sueur ruisselaient de ses tempes. Quand tout fut fini, le dandy prit délicatement les rimes et les pensées d'Onuphrius par les ailes et les serra dans son portefeuille.
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:25 | |
| - Bien, très bien, dirent quelques hommes poètes ou artistes en se rapprochant d'Onuphrius, un délicieux pastiche, un admirable pastel, du Watteau tout pur, de la régence à s'y tromper, des mouches, de la poudre et du fard, comment diable as-tu fait pour grimer ainsi ta poésie? C'est d'un rococo admirable; bravo, bravo, d'honneur, une plaisanterie fort spirituelle! Quelques dames l'entourèrent et dirent aussi: Délicieux! en ricanant d'une manière à montrer qu'elles étaient au-dessus de semblables bagatelles quoique au fond du coeur elles trouvassent cela charmant et se fussent très fort accommodées d'une pareille poésie pour leur consommation particulière.
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:25 | |
| - Vous êtes tous des brigands! s'écria Onuphrius d'une voix de tonnerre en renversant sur le plateau le verre d'eau sucrée qu'on lui présentait. C'est un coup monté, une mystification complète; vous m'avez fait venir ici pour être le jouet du diable, oui, de Satan en personne, ajouta-t-il en désignant du doigt le fashionable à gilet écarlate.
Après cette algarade, il enfonça son chapeau sur ses yeux et sortit sans saluer.
- Vraiment, dit le jeune homme en refourrant sous les basques de son habit une demi-aune de queue velue qui venait de s'échapper et qui se déroulait en frétillant, me prendre pour le diable, l'invention est plaisante! Décidément, ce pauvre Onuphrius est fou. Me ferez-vous l'honneur de danser cette contredanse avec moi, mademoiselle? reprit-il, un instant après, en baisant la main d'une angélique créature de quinze ans, blonde et nacrée, un idéal de Lawrence.
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:25 | |
| - Oh! mon Dieu, oui, dit la jeune fille avec son sourire ingénu, levant ses longues paupières soyeuses, laissant nager vers lui ses beaux yeux couleur du ciel.
Au mot Dieu, un long jet sulfureux s'échappa du rubis, la pâleur du réprouvé doubla; la jeune fille n'en vit rien; et quand elle l'aurait vu? elle l'aimait!
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:25 | |
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Quand Onuphrius fut dans la rue, il se mit à courir de toutes ses forces; il avait la fièvre, il délirait, il parcourut au hasard une infinité de ruelles et de passages. Le ciel était orageux, les girouettes grinçaient, les volets battaient les murs, les marteaux des portes retentissaient, les vitrages s'éteignaient successivement; le roulement des voitures se perdait dans le lointain, quelques piétons attardés longeaient les maisons, quelques filles de joie traînaient leurs robes de gaze dans la boue; les réverbères, bercés par le vent, jetaient des lueurs rouges et échevelées sur les ruisseaux gonflés de pluie; les oreilles d'Onuphrius tintaient, toutes les rumeurs étouffées de la nuit, le ronflement d'une ville qui dort, l'aboi d'un chien, le miaulement d'un matou, le son de la goutte d'eau tombant du toit, le quart sonnant à l'horloge gothique, les lamentations de la bise, tous ces bruits du silence agitaient convulsivement ses fibres, tendues à rompre par les événements de la soirée. Chaque lanterne était un oeil sanglant qui l'espionnait; il croyait voir grouiller dans l'ombre des formes sans nom, pulluler sous ses pieds des reptiles immondes; il entendait des ricanements diaboliques, des chuchotements mystérieux. Les maisons valsaient autour de lui; le pavé ondait, le ciel s'abaissait comme une coupole dont on aurait brisé les colonnes; les nuages couraient, couraient, couraient, comme si le diable les eût emportés; une grande cocarde tricolore avait remplacé la lune. Les rues et les ruelles s'en allaient bras dessus bras dessous, caquetant comme de vieilles portières; il en passa beaucoup de la sorte. La maison de madame de *** passa. On sortait du bal, il y avait encombrement à la porte; on jurait, on appelait les équipages. Le jeune homme au réseau descendit; il donnait le bras à une dame; cette dame n'était autre que Jacintha; le marchepied de la voiture s'abaissa, le dandy lui présenta la main; ils montèrent; la fureur d'Onuphrius était au comble; décidé à éclaircir cette affaire, il croisa ses bras sur sa poitrine, et se planta au milieu du chemin. Le cocher fit claquer son fouet, une myriade d'étincelles jaillit du pied des chevaux. Ils partirent au galop; le cocher cria: Gare! il ne se dérangea pas: les chevaux étaient lancés trop fort pour qu'on pût les retenir. Jacintha poussa un cri; Onuphrius crut que c'était fait de lui; mais chevaux, cocher, voiture, n'étaient qu'une vapeur que son corps divisa comme l'arche d'un pont fait d'une masse d'eau qui se rejoint ensuite. Les morceaux du fantastique équipage se réunirent à quelques pas derrière lui, et la voiture continua à rouler comme s'il ne fût rien arrivé. Onuphrius, atterré, la suivit des yeux: il entrevit Jacintha, qui, ayant levé le store, le regardait d'un air triste et doux, et le dandy à barbe rouge qui riait comme une hyène; un angle de la rue l'empêcha d'en voir davantage; inondé de sueur, pantelant, crotté jusqu'à l'échine, pâle, harassé de fatigue et vieilli de dix ans, Onuphrius regagna péniblement le logis. Il faisait grand jour comme la veille, en mettant le pied sur le seuil il tomba évanoui. Il ne sortit de sa pâmoison qu'au bout d'une heure; une fièvre furieuse y succéda. Sachant Onuphrius en danger, Jacintha oublia bien vite sa jalousie et sa promesse de ne plus le voir; elle vint s'établir au chevet de son lit, et lui prodigua les soins et les caresses les plus tendres. Il ne la reconnaissait pas; huit jours se passèrent ainsi; la fièvre diminua; son corps se rétablit, mais non pas sa raison; il s'imaginait que le diable lui avait escamoté son corps, se fondant sur ce qu'il n'avait rien senti lorsque la voiture lui avait passé dessus.
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:26 | |
| L'histoire de Pierre Schlemil, dont le diable avait pris l'ombre; celle de la nuit de Saint-Sylvestre, où un homme perd son reflet, lui revinrent en mémoire; il s'obstinait à ne pas voir son image dans les glaces et son ombre sur le plancher, chose toute naturelle, puisqu'il n'était qu'une substance impalpable; on avait beau le frapper, le pincer, pour lui démontrer le contraire, il était dans un état de somnambulisme et de catalepsie qui ne lui permettait pas de sentir même les baisers de Jacintha. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:26 | |
| La lumière s'était éteinte dans la lampe; cette belle imagination, surexcitée par des moyens factices, s'était usée en de vaines débauches; à force d'être spectateur de son existence, Onuphrius avait oublié celle des autres, et les liens qui le rattachaient au monde s'étaient brisés un à un.
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| | | | Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius | |
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