SULTAN MAHMOUD.
Dans mon harem se groupe,
Comme un bouquet
Débordant d'une coupe
Sur un banquet,
Tout ce que cherche ou rêve,
D'opium usé,
Et son ennui sans trêve,
Un coeur blasé ;
Mais tous ces corps sans âmes
Plaisent un jour
Hélas ! j'ai six cents femmes,
Et pas d'amour !
La biche et l'antilope,
J'ai tout ici,
Asie, Afrique, Europe,
En raccourci ;
Teint vermeil, teint d'orange,
oeil noir ou bleu,
Le charmant et l'étrange,
De tout un peu;
Mais tous ces corps sans âmes
Plaisent un jour...
Hélas ! j'ai six cents femmes,
Et pas d'amour !
Ni la vierge de Grèce,
Marbre vivant ;
Ni la fauve négresse,
Toujours rêvant ;
Ni la vive Française,
À l'air vainqueur ;
Ni la plaintive Anglaise,
N'ont pris mon coeur !
Tous ces beaux corps sans âmes
Plaisent un jour...
Hélas ! j'ai six cents femmes,
Et pas d'amour !
À travers la forêt de folles arabesques
Que le doigt du sommeil trace au mur de mes nuits,
Je vis, comme l'on voit les Fortunes des fresques,
Un jeune homme penché sur la bouche d'un puits.
Il jetait, par grands tas, dans cette gueule noire
Perles et diamants, rubis et sequins d'or,
Pour faire arriver l'eau jusqu'à sa lèvre, et boire ;
Mais le flot flagellé ne montait pas encor.
Hélas ! que d'imprudents s'en vont aux puits sans corde,
Sans urne pour puiser le cristal souterrain,
Enfouir leur trésor afin que l'eau déborde,
Comme fit le corbeau dans le vase d'airain !
Hélas ! et qui n'a pas, épris de quelque femme,
Pour faire monter l'eau du divin sentiment,
Jeté l'or de son coeur au puits sans fond d'une âme,
Sur l'abîme muet penché stupidement !