Un vieux Monarque
Un monarque aux favoris blancs,
Turbulent, ivrogne et féroce,
Affronte les passants tremblants
Et gonfle sa poitrine en bosse.
Il est rouge comme du vin.
Par Bacchus! dit-il, on me brave!
Moi le héros, l'homme divin!
Moi le vainqueur! moi, le burgrave!
Moi le vieux qui, depuis longtemps,
Ai conquis, montrant ma semelle,
L'Europe et tous ses habitants,
Et les enfants à la mamelle!
Moi qui puis à mon gré vêtir
Le bleu riant que chacun flatte,
Ou la vieille pourpre de Tyr,
L'azur céleste ou l'écarlate!
Voyez, j'ouvre mon calepin
Enjolivé d'or et de nacre;
Qui veut perdre le goût du pain?
Qui faudra-t-il que je massacre?
Qui donc m'a causé cet ennui?
Son destin irrémédiable
Est de périr dès aujourd'hui,
Je le tuerai, fût-ce le diable!
Or savez-vous qui parle ainsi
D'une voix rauque et solennelle
Qui monte parfois jusqu'au si?
C'est le seigneur Polichinelle.
S'il a pris cet air espagnol
De fou décrochant une étoile,
C'est qu'il regrette son Guignol,
Son palais, sa maison de toile,
Dont un large obus éperdu
A massacré la vieille gloire,
L'autre jour, au beau milieu du
Carrefour de l'Observatoire.