Cigarettes
Donc, la reine de Taïti,
Si l'on n'a pas menti,
Nous apporte, en sa chevelure,
La fine dentelure
Et l'ombre et le parfum amer
De l'orageuse mer.
N'ayant plus du tout de royaume,
Libre de ce fantôme,
Elle vient admirer Paris,
Les houris, les souris,
Tout ce que notre ville étale
De grâce orientale
Et tous ces lys purs et troublants
Qu'on voit dans les bals blancs.
Sage pourtant comme une Hélène,
En sa robe de laine,
Et levant toujours vers les cieux
Ses yeux insoucieux,
On dit que la belle princesse
Fume, fume sans cesse,
Regarde naître et voltiger
Le nuage léger
Et se laisse conter fleurettes
Par mille cigarettes.
Humbles rimeurs, nous qui rêvons,
Certes, nous l'approuvons
Dans sa fumerie éternelle,
Et nous faisons comme elle.
Car bien clos, à l'abri des vents,
Songer sur les divans,
Fut toujours une douce chose;
Respirer une rose,
Nous plaît; boire un généreux vin,
C'est un régal divin;
Lire Henri Heine ou Shakspere,
Cela vaut un empire;
Tout va délicieusement
Pour le coeur d'un amant,
Quand un rayon de soleil dore
Les cheveux qu'il adore;
On se plaît à ne rien prouver;
Il est bon, pour trouver
L'anéantissement physique,
D'écouter la musique;
Mais alors que le jour s'enfuit,
Dans le calme réduit
Qu'un tapis effacé décore,
Il est plus doux encore
De fumer, et de voir le feu,
Dans un nuage bleu,
Mettre de rouges collerettes
Au cou des cigarettes.