III
En sortant du collège
Première lettre
Puisque nous avons seize ans,
Vivons, mon vieux camarade,
Et cessons d'être innocents ;
Car c'est là le premier grade.
Vivre c'est aimer. Apprends
Que, dans l'ombre où nos coeurs rêvent,
J'ai vu deux yeux bleus, si grands
Que tous les astres s'y lèvent.
Connais-tu tous ces bonheurs ?
Faire des songes féroces,
Envier les grands seigneurs
Qui roulent dans des carrosses,
Avoir la fièvre, enrager,
Être un coeur saignant qui s'ouvre,
Souhaiter être un berger
Ayant pour cahute un Louvre,
Sentir en mangeant son pain
Comme en ruminant son rêve,
L'amertume du pépin
De la sombre pomme d'Ève ;
Être amoureux, être fou,
Être un ange égal aux oies,
Être un forçat sous l'écrou ;
Eh bien, j'ai toutes ces joies !
Cet être mystérieux
Qu'on appelle une grisette
M'est tombé du haut des cieux.
Je souffre. J'ai la recette.
Je sais l'art d'aimer ; j'y suis
Habile et fort au point d'être
Stupide, et toutes les nuits
Accoudé sur ma fenêtre.
Deuxième lettre
Elle habite en soupirant
La mansarde mitoyenne.
Parfois sa porte, en s'ouvrant,
Pousse le coude à la mienne.
Elle est fière ; parlons bas.
C'est une forme azurée
Qui, pour ravauder des bas,
Arrive de l'empyrée.
J'y songe quand le jour naît,
J'y rêve quand le jour baisse.
Change en casque son bonnet,
Tu croirais voir la Sagesse.
Sa cuirasse est un madras ;
Elle sort avec la ruse
D'avoir une vieille au bras
Qui lui tient lieu de Méduse.
On est sens dessus dessous
Rien qu'à voir la mine altière
Dont elle prend pour deux sous
De persil chez la fruitière.
Son beau regard transparent
Est grave sans airs moroses.
On se la figure errant
Dans un bois de lauriers-roses.
Pourtant, comme nous voyons
Que parfois de ces Palmyres
Il peut tomber des rayons,
Des baisers et des sourires ;
Un drôle, un étudiant,
Rôde sous ces chastes voiles ;
Je hais fort ce mendiant
Qui tend sa main aux étoiles.
Je ne sors plus de mon trou.
L'autre jour, étant en verve,
Elle m'appela : Hibou.
Je lui répondis : Minerve.