Lorsque j'étais enfant, sortant de rhétorique,
J'envoÿais aux journaux de la prose lyrique
En l'honneur des géants du sombre esprit humain;
J'essayais d'expliquer. leur but et leur chemin,
De quel pas ils marchaient et vers quélle lumière;
Ce qu'ils faisaient; pourquoi la Bible est la première,
Et plus bas l'Iliade; et je disais pourquoi
Molière demi-dieu passe Corneille roi;
Ce qu'est Milton; pourquoi; je n'étais pas athée
Au génie; et pourquoi j'admirais Prométhée;
Pourquoi je contemplais les esprits éclatants,
Poètes, orateurs, sages; -puis, par instants,
Je m'écriais, brisant mes plumes inquiètes:
-A quoi bon célébrer en prose les poètes?
Louer l'immensité, l'azur, la profondeur!
Peut-on dorer la flamme et grandir la grandeur?
Chanter Homère en style à trente sous la page!
Coudre un vain feuilleton, inutile tapage,
Accrocher ma louange en verres de couleur
Au roi Priam, géant de l'antique douleur,
A Job, à Jérémie, à Dante, à toi, Shakspeare,
Au vieil Eschyle en qui le vieux Titan respire! Dire au génie, au bas du journal: sois béni!
Vanter. ces écrivains du grand livre infini -
Dont la foule ne sait pas même l'orthographe!
Pendre une girandole en bouchons de carafe
A l'anneau de Saturne énorme et flamboyant!
Et tout bas une voix me disait: -Ô. croyant,
Le ciel t'a mis dans l'âme une lyre ingénue,
Non, ne t'arrête pas! tu fais bien. Continue.
Admire. C'est ainsi qu'on vole au firmament.
Comprendre le génie est le commencement.
L'esprit religieux, dans ce monde où nous sommes,
Ébauche l'hymne à Dieu par un hymne aux grands hommes.
Les grands hommes, enfant, sont les lueurs de Dieu.
Ils sont l'ardente roue autour du sombre essieu.,
Ils jettent, des hauteurs de leùr brûlant solstice,
L'un de la. vérité, l'autre de la justice,
L'autre -de la sagesse, et tous de l'infini.
Le penseur qui, d'en bas à leur splendeur uni,
Tente l'ascension de leur sommet austère,
Voit dans tous ces esprits les degrés du mystère;
Il sent dans chacun d'eux l'être inconnu, qui vit,
Il va de l'immortel à l'éternel, gravit
Du poète au prophète et du sage à l'apôtre,
Et, montant pas à pas d'une clarté sur l'autre,
`Épelant le saint nom sur chaque front vermeil,
Fait avec les rayons une échelle au soleil.