Lorsque le régiment des hallebardiers passe,
L'aigle à deux têtes, l'aigle à la griffe rapace,
L'aigle d'Autriche dit:
Voilà le régiment
De mes hallebardiers qui va superbement.
Leurs plumets font venir les filles aux fenêtres ;
Ils marchent droits, tendant la pointe de leurs guêtres ;
Leur pas est si correct, sans tarder ni courir,
Qu'on croit voir des ciseaux se fermer et s'ouvrir ;
Et la belle musique, ardente et militaire!
Leur clairon fait sortir une rumeur de terre.
Tout cet éclat de rire orgueilleux et vainqueur
Que le soldat muet refoule dans son coeur,
Étouffé dans les rangs, s'échappe et se délivre
Sous le chapeau chinois aux clochettes de cuivre ;
Le tambour roule avec un faste oriental,
Et vibre, tout tremblant de plaques de métal ;
Si bien qu'on croit entendre en sa voix claire et gaie
Sonner allègrement les sequins de la paie ;
La fanfare s'envole en bruyant falbala.
Quels bons autrichiens que ces étrangers-là!
Gloire aux hallebardiers! Ils n'ont point de scrupule
Contre la populace et contre la crapule,
Corrigeant dans les gueux mal vêtus la fureur
De venir regarder de trop près l'empereur ;
Autour des archiducs leur pertuisane veille,
Et souvent d'une fête elle revient vermeille,
Ayant fait en passant quelques trous dans la chair
Du bas peuple en haillons qui trouve le pain cher ;
Ils ont un air fâché qui tient la foule en bride ;
Le grand soleil leur creuse aux sourcils une ride ;
Ce régiment est beau sous les armes, rêvant
A la terreur qui suit son drapeau dans le vent ;
Il a, comme un palais, ses tours et sa façade ;
Tous sont hardis et forts, du fifre à l'anspessade ;
Gloire aux hallebardiers splendides! ces piquiers
Sont un rude pièce aux royaux échiquiers ;
On sent que ces gaillards sortent des avalanches
Qui des cols du Malpas roulent jusqu'à Sallenches ;
En guerre, au feu, ce sont des tigres pour l'élan ;
A Schoenbrunn, chacun d'eux à l'air d'un chambellan ;
Auprès de leur cocarde ils piquent une rose ;
Et tous, en même temps, graves, ont quelque chose
De froid, de sépulcral, d'altier, de solennel,
Le grand baron Madruce étant leur colonel!
Leur hallebarde est longue et s'ajoute à leur taille ;
Quand ce dur régiment est dans une bataille,
Lâchât-on contre lui les mamelouks du Nil,
La meute des plus fiers escadrons, le chenil
Des bataillons les plus hideux, les plus épiques,
Regarde en reculant ce sanglier de piques.
Ils sont silencieux comme un nuage noir ;
Ils laissent seulement, par instants, entrevoir
Une lueur tragique aux multitudes viles ;
Parfois, leur humeur change, ils entrent dans les villes,
Ivres et gais, frappant leurs marmites de fer,
Et font devant le seuil des maisons un bruit fier,
Heureux, vainqueurs, sanglants, chantant à pleine bouche
La noce de la joie et du sabre farouche ;
Ils ont nommé, tuant, mourant pour de l'argent,
Trépas, leur capitaine, et Danger, leur sergent ;
Ils traînent dans leurs rangs, avec gloire et furie,
Comme un trophée utile à mettre en batterie,
Six canons qu'a pleurés monsieur de Brandebourg;
Comme ils vous font japper cela contre un faubourg!
Comme ils en ont craché naguère la volée
Sur Comorn, la Hongrie étant démuselée!
Et comme ils ont troué de boulets le manteau
De Vérone, livrée au feu par Colalto!
Les déclarations de guerre les font rire ;
Ils signent ce qu'il plaît à l'empereur d'écrire ;
Sous les puissants édits, sous les rescrits altiers,
Au bas des hauts décrets; ils mettent volontiers
Ce grand paraphe obscur qu'on nomme la mêlée ;
Leur bannière à longs plis, toute bariolée,
Est une glorieuse et fait claquer son fouet ;
Wallstein, comme une foudre au poing, les secouait ;
Leur mode est d'envoyer la bombe en ambassade ;
Ils sont pour l'ennemi de mine si maussade
Que s'ils allaient un jour, sur la terre ou sur la mer,
Guerroyer quelque prince allié de l'enfer,
Rien qu'en apercevant leurs profils sous le feutre,
Satan se sentirait le goût de rester neutre.
Aussi, lourde est la solde et riche est le loyer.
Quand on veut des héros, il faut les bien payer.
On n'a point vu, depuis Boleslas Lèvre-Torte,
Une bande de gens de bataille plus forte
Et des alignements d'estafiers plus hagards ;
Max en fait cas, Tilly pour eux a des égards,
Fritz les aime ; en voyant ces moustaches féroces,
Les femmes de la cour ont peur dans leurs carrosses,
Et disent : -Qu'ils sont beaux!- Leurs os sont de granit ;
L'électeur de Mayence en passant les bénit,
Et l'abbé de Fulda leur rit dans sa simarre ;
Leur habit est d'un drap cramoisi, que chamarre
Un galon triomphal, auguste, étincelant ;
Ils ont deux frocs de guerre, un jaune et l'autre blanc ;
Sur le jaune, l'or brille et largement éclate ;
Quand ils portent le blanc sur la veste écarlate,
Car la pompe des cours aime ce train changeant,
On leur voit sur le corps ruisseler tant d'argent
Que ces fils des glaciers semblent couverts de givre.
Une troupe d'enfants s'extasie à les suivre.
Ils gardent à Schoenbrunn le secret corridor.
Sur l'épaule, en brocart brodé de pourpre et d'or,
Ils ont, quoique plus d'un soit hérétique en somme,
Le blason de l'empire et le blason de Rome ;
Mais leur coeur huguenot sans courroux le subit,
Et, quand l'âge ou la guerre ont usé leur habit,
Et qu'il faut au Prater devant des rois paraître,
Chacun d'eux, devenu bon tailleur de bon reître,
S'accroupit, prend l'aiguille, et remet en état
L'écusson orthodoxe à son dos apostat.
Ce sont de braves gens. Jamais ils ne vacillent.
En longs buissons mouvants leurs hallebardes brillent.
A Prague, à Parme, à Pesth, devant Mariendal,
Ils soutiennent le vaste empereur féodal ;
La révolte autour d'eux se brise, échoue et sombre ;
Ils ont le flamboiement, l'ordre et l'épaisseur de l'ombre ;
Le vertige me prend moi-même dans les airs
En regardant marcher cette forêt d'éclairs.