LA FIANCÉE DU TIMBALIER
à M. J. F.
Douce est la mort qui vient en bien aimant !
DESPORTES, Sonnet.
" Monseigneur le duc de Bretagne
A, pour les combats meurtriers,
Convoqué de Nantes à Mortagne,
Dans la plaine et sur la montagne,
L'arrière-ban de ses guerriers.
" Ce sont des barons dont les armes
Ornent des forts ceints d'un fossé ;
Des preux vieillis dans les alarmes,
Des écuyers, des hommes d'armes ;
L'un d'entre eux est mon fiancé.
" Il est parti pour l'Aquitaine
Comme timbalier, et pourtant
On le prend pour un capitaine,
Rien qu'à voir sa mine hautaine,
Et son pourpoint, d'or éclatant !
" Depuis ce jour, l'effroi m'agite.
J'ai dit, joignant son sort au mien :
Ma patronne, sainte Brigitte,
Pour que jamais il ne le quitte,
Surveillez son ange gardien !
" J'ai dit à notre abbé : Messire,
Priez bien pour tous nos soldats ! -
Et, comme on sait qu'il le désire,
J'ai brûlé trois cierges de cire
Sur la châsse de saint Gildas.
" À Notre-Dame de Lorette
J'ai promis, dans mon noir chagrin,
D'attacher sur ma gorgerette,
Fermée à la vue indiscrète,
Les coquilles du pèlerin.
" Il n'a pu, par d'amoureux gages,
Absent, consoler mes foyers ;
Pour porter les tendres messages,
La vassale n'a point de pages,
Le vassal n'a pas d'écuyers.
" Il doit aujourd'hui de la guerre
Revenir avec monseigneur ;
Ce n'est plus un amant vulgaire ;
Je lève un front baissé naguère,
Et mon orgueil est du bonheur !
" Le duc triomphant nous rapporte
Son drapeau dans les camps froissé ;
Venez tous sous la vieille porte
Voir passer la brillante escorte,
Et le prince, et mon fiancé,
" Venez voir pour ce jour de fête
Son cheval caparaçonné,
Qui sous son poids henrtit, s'arrête,
Et marche en secouant la tête,
De plumes rouges couronné !
" Mes soeurs, à vous parer si lentes,
Venez voir près de mon vainqueur
Ces timbales étincelantes
Qui sous sa main toujours tremblantes
Sonnent et font bondir le coeur !
" Venez surtout le voir lui-même
Sous le manteau que j'ai brodé.
Qu'il sera beau ! c'est lui que j'aime !
Il porte comme un diadème
Son casque de crins inondé !
" L'Égyptienne sacrilège,
M'attirant derrière un pilier,
M'a dit hier (Dieu nous protège !)
Qu'à la fanfare du cortège
Il manquerait un timbalier.
" Mais j'ai tant prié, que j'espère !
Quoique, me montrant de la main
Un sépulcre, son noir repaire,
La vieille aux regards de vipère,
M'ait dit : Je t'attends là demain !
" Volons ! plus de noires pensées !
Ce sont les tambours que j 'entends.
Voici les dames entassées,
Les tentes de pourpre dressées,
Les fleurs et les drapeaux flottants !
" Sur deux rangs le cortège ondoie
D'abord, les piquiers aux pas lourds ;
Puis, sous l'étendard qu'on déploie,
Les barons, en robe de soie,
Avec leurs toques de velours.
" Voici les chasubles des prêtres ;
Les hérauts sur un blanc coursier.
Tous, en souvenir des ancêtres,
Portent l'écusson de leurs maîtres,
Peint sur leur corselet d'acier.
" Admirez l'armure persane
Des Templiers, craints de l'enfer ;
Et, sous la longue pertuisane,
Les archers venus de Lausanne,
Vêtus de buffle, armés de fer.
" Le duc n'est pas loin ses bannières
Flottent parmi les chevaliers ;
Quelques enseignes prisonnières,
Honteuses, passent les dernières... -
-Mes soeurs ! voici les timbaliers !... "
Elle dit, et sa vue errante
Plonge, hélas ! dans les rangs pressés ;
Puis, dans la foule indifférente,
Elle tomba, froide et mourante...
- Les timbaliers étaient passés.