MUGITUSQUE BOUM
Mugissement des boeufs, au temps du doux Virgile,
Comme aujourd'hui, le soir, quand fuit la nuit agile,
Ou, le matin, quand l'aube aux champs extasiés
Verse à flots la rosée et le jour, vous disiez:
-Mûrissez, blés mouvants! prés, emplissez-vous d'herbes!
-Que la terre, agitant son panache de gerbes,
-Chante dans l'onde d'or d'une riche moisson!
-Vis, bête; vis, caillou; vis, homme; vis, buisson;
-A l'heure où le soleil se couche, où l'herbe est pleine
-Des grands fantômes noirs des arbres de la plaine
-Jusqu'aux lointains coteaux rampant et grandissant,
-Quand le brun laboureur des collines descend
-Et retourne à son toit d'où sort une fumée,
-Que la soif de revoir sa femme bien-aimée
-Et l'enfant qu'en ses bras hier il réchauffait,
-Que ce désir, croissant à chaque pas qu'il fait,
-Imite dans son coeur l'allongement de l'ombre!
-Êtres! choses! vivez! sans peur, sans deuil, sans nombre
-Que tout s'épanouisse en sourire vermeil!
-Que l'homme ait le repos et le boeuf le sommeil!
-Vivez! croissez! semez le grain à l'aventure!
-Qu'on sente frissonner dans toute la nature,
-Sous la feuille des nids, au seuil blanc des maisons,
-Dans l'obscur tremblement des profonds horizons,
-Un vaste emportement d'aimer, dans l'herbe verte,
-Dans l'antre, dans l'étang, dans la clairière ouverte,
-D'aimer sans fin, d'aimer toujours, d'aimer encor,
-Sous la sérénité des sombres astres d'or!
-Faites tressaillir l'air, le flot, l'aile, la bouche,
-O palpitations du grand amour farouche!
-Qu'on sente le baiser l'être illimité!
-Et, paix, vertu, bonheur, espérance, bonté,
-O fruits divins, tombez des branches éternelles!-
Ainsi vous parliez, voix, grandes voix solennelles;
Et Virgile écoutait comme j'écoute, et l'eau
Voyait passer le cygne auguste, et le bouleau
Le vent, et le rocher l'écume, et le ciel sombre
L'homme... O nature! abîme! immensité de l'ombre!
Marine-Terrace, juillet 1855.