EN MER .
Les visions se répandent
dans le firmament terni ;
de hideux nuages pendent
au noir plafond infini ;
l' étoile y vient disparaître ;
il semble qu' une main traître,
guettant les astres vermeils,
au fond de l' ombre indignée,
tend ses toiles d' araignée
pour ces mouches, les soleils.
L' arbre se tord sur la côte ;
le flot s' acharne au récif ;
une clameur triste et haute
avertit l' homme pensif ;
l' écume roule, avalanche ;
la lame féroce et blanche
luit comme l' yatagan ;
la terre sanglote et souffre,
livrée aux baisers du gouffre,
au viol de l' ouragan.
La mer n' est plus qu' épouvante ;
le ciel s' effare ; on dirait
que la nature vivante
devient songe et disparaît ;
tout prend l' aspect et la forme
d' une horrible ébauche énorme
ou d' un grand rêve détruit ;
les ténèbres en décombres
emplissent de leurs blocs sombres
l' antre immense de la nuit.
Ah ! N' est-ce pas, Dieu sublime,
Dieu qui fis l' arche et le pont,
que tout naufrage est un crime
et que quelqu' un en répond ?
S' il manque une seule tête,
tu puniras la tempête ;
tu sais, toi qui nous défends
et qui fouilles les repaires,
le compte de tous les pères,
le nom de tous les enfants !
1854, 11, 04