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 Victor HUGO (1802-1885) Console-toi, poète! - Un jour, bientôt peut-être

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MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Console-toi, poète! - Un jour, bientôt peut-être   Victor HUGO (1802-1885) Console-toi, poète! - Un jour, bientôt peut-être Icon_minitimeLun 19 Sep - 19:44

Console-toi, poète! - Un jour, bientôt peut-être,
Les coeurs te reviendront,
Et pour tous les regards on verra reparaître
Les flammes de ton front.



Tous les côté ternis par ta gloire outragée,
Nettoyés un matin,
Seront comme une dalle avec soin épongée
Après un grand festin.



En vain tes ennemis auront armé le monde
De leur rire moqueur,
Et sur les grands chemins répandu comme l'onde
Les secrets de ton coeur.



En vain ils jetteront leur rage humiliée
Sur ton nom ravagé.
Comme un chien qui remâche une chair oubliée
Sur l'os déjà rongé.



Ils ne prévaudront pas, ces hommes qui t'entourent
De leurs obscurs réseaux
Ils passeront ainsi que ces lueurs qui courent
A travers les roseaux.



Ils auront bien toujours pour toi toute la haine
Des démons pour le Dieu;
Mais un souffle éteindra leur bouche impure pleine
De parole de feu.



Ils s'évanouiront, et la foule et ravie
Verra, d'un oeil pieux,
Sortir de ce tas d'ombre amassé par l'envie
Ton front majestueux!



En attendant, regarde en pitié cette foule
Qui méconnaît tes chants,
Et qui de toutes parts se répand et s'écoule
Dans les mauvais penchant.



Laisse en ce noir chaos qu'aucun rayon n'éclaire
Ramper les ignorants;
L'orgueilleux dont la voix grossit dans la colère
Comme l'eau des torrents;



La beauté sans amour dont les pats nous entraîne,
Femme aux yeux exercés
Dont la robe flottante est un piège ou se prennent
Les pieds insensés;



Les rhéteurs qui de bruit emplissent leur parole
Quand nous les écoutons;
Et ces hommes sans foi, sans culte, sans boussole,
Qui vivent à tâtons;



Et les flatteurs courbés, aux douceurs familières,
Aux fronts bas et rampants;
Et les ambitieux qui sont comme des lierres
L'un sur l'autre grimpants!



Non, tu ne portes pas, ami, la même chaîne
Que ces hommes d'un jour.
Ils sont vils, et toi grand. Leur joug est fait de haine,
Le tien est fait d'amour!



Tu n'as rien de commun avec le monde infime
Au souffle empoisonneur;
Car c'est pour tous les yeux un spectacle sublime
Quand la main du Seigneur



Loin du sentier banal où la foule se rue
Sur quelque illusion,
Laboure le génie avec cette charrue
Qu'on nomme passion!"



Et quand il eut fini, toi que la haine abreuve,
Tu lui dis d'une voix attendrie un instant,
Voix pareille à la sienne et plus haute pourtant,
Comme la grande mer qui parlerait au fleuve;



"Ne me console point et ne t'afflige pas.
Je suis calme et paisible.
Je ne regarde point le monde d'ici-bas,
Mais le monde invisible.



Les hommes sont meilleurs, ami, que tu ne crois.
Mais le sort est sévère.
C'est lui qui teint de vin ou de lie à son choix
Le pur cristal du verre.



Moi, je rêve! écoutant le cyprès soupirer
Autour des croix d'ébène,
Et murmurer le fleuve et la cloche pleurer
Dans un coin de la plaine,



Recueillant le cri sourd de l'oiseau qui s'enfuit,
Du char traînant la gerbe
Et la plainte qui sort des roseaux, et le bruit
Que fait la touffe d'herbe,



Prêtant l'oreille aux flots qui ne peuvent dormir,
A l'air dans la nuée,
J'erre sur les hauts lieux d'ou l'on entend gémir
Toute chose crée!



Là, je vois, comme un vase allumé sur l'autel,
Le toit lointain qui fume;
Et le soir je compare aux purs flambeaux du ciel
Tout flambeau qui s'allume.



Là j'abandonne aux vents mon esprit sérieux,
Comme l'oiseau sa plume;
Là, je songe au malheur de l'homme, et j'entends mieux
Le bruit de cette enclume,



Là, je contemple, ému, tout ce qui s'offre aux yeux,
Onde, terre, verdure;
Et je vois l'homme au loin, mage mystérieux,
Traverser la nature!



Pourquoi me plaindre, ami? Tout homme à tout
Souffre des maux sans nombre. [moment
Moi, sur qui vient la nuit, j'ai gardé seulement
Dans mon horizon sombre,



Comme un rayon du soir au front d'un mont obscur,
L'amour, divine flamme,
L'amour, qui dore encor ce que j'ai de plus pur
Et de plus haut dans l'âme!



Sans doute en mon avril, ne sachant rien à fond,
Jeune, crédule, austère,
J'ai fait des songes d'or comme tous ceux qui font
Des songes sur la terre!



J'ai vu la vie en fleur sur mon front s'élever
Pleine de douces choses.
Mais quoi! me crois-tu assez fou pour rêver
L'éternité des roses?



Les chimères, qu'enfant mes mains croyaient toucher,
Maintenant sont absentes;
Et je dis au bonheur ce que dit le nocher
Aux rives décroissantes.



Qu'importe! je m'abrite en un calme profond,
Plaignant surtout les femmes;
Et je vis l'oeil fixé sur le ciel où s'en vont
Les ailes et les âmes.



Dieu nous donne à chacun notre part du destin,
Au fort, au faible, au lâche,
Comme un maître soigneux levé dès le matin
Divise à tous leur tâche.



Soyons grands. Le grand coeur à Dieu même est pareil.
Laissons, doux ou funestes,
Se croiser sur nos pieds la foudre et le soleil,
Ces deux clartés célestes.



Laissons gronder en bas cet orage irrité
Qui toujours nous assiège;
Et gardons au-dessus notre tranquillité,
Comme le mont sa neige.



Va, nul mortel ne brise avec la passion,
Vainement obstinée,
Cette âpre loi que l'un nomme Expiation
Et l'autre Destinée.



Hélas! de quelque nom que, broyé sous l'essieu,
L'orgueil humain la nomme,
Roue immense et fatale, elle tourne sur Dieu,
Elle roule sur l'homme!"


15 octobre 1837

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