LE GÉANT.
Oui, je sais bien, parce que j'ai des membres
Vastes, et que les doigts robustes de mes pieds
Semblent sur l'affreux tronc des saules copiés,
Parce que mes talons sont tout noirs de poussière,
Parce que je suis fait de la pâte grossière
Dont est faite la terre auguste et dont sont faits
Les grands monts, ces muets et sacrés portefaix,
Vu que des plus vieux rocs j'ai passé les vieillesses,
Et que je n'ai pas moi toutes vos gentillesses,
Étant une montagne à forme humaine, au fond
Du gouffre, où l'ombre avec les pierres me confond,
Vu que j'ai l'air d'un bloc, d'une tour, d'un décombre,
Et que je fus taillé dans l'énormité sombre,
Je passe pour stupide. On rit de moi, vraiment,
Et l'on croit qu'on peut tout me faire impunément.
Soit. Essayez. Tâtez mon humeur endurante.
Combien de dards avait le serpent Stryx ? Quarante.
Combien de pieds avait l'hydre Phluse ? Trois cents.
J'ai broyé Stryx et Phluse entre mes poings puissants.
Osez donc ! Ah ! je sens la colère hagarde
Battre de l'aile autour de mon front. Prenez garde !
Laissez-moi dans mon trou plein d'ombre et de parfums.
Que les olympiens ne soient pas importuns,
Car il se pourrait bien qu'on vît de quelle sorte
On les chasse, et comment, pour leur fermer sa porte,
Un ténébreux s'y prend avec les radieux,
Si vous venez ici m'ennuyer, tas de dieux !