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 Victor HUGO (1802-1885) Suite de la joie

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James
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Victor HUGO (1802-1885) Suite de la joie  Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Suite de la joie    Victor HUGO (1802-1885) Suite de la joie  Icon_minitimeDim 25 Sep - 18:31

Suite de la joie

Cloche ; acclamations ; gémissements ; fanfares ;
Feux de joie ; et les tours semblent toutes des phares,
Tant on a, pour fêter ce jour grand à jamais,
De brasiers frissonnants encombré leurs sommets !
La table colossale en plein air est dressée ;
Ce qu'on a sous les yeux répugne à la pensée
Et fait peur ; c'est la joie effrayante du mal ;
C'est plus que le démon, c'est moins que l'animal ;
C'est la cour du donjon tout entière rougie
D'une prodigieuse et ténébreuse orgie ;
C'est Final, mais Final vaincu, tombé, flétri ;
C'est un chant dans lequel semble se tordre un cri ;
Un gouffre où les lueurs de l'enfer sont voisines
Du rayonnement calme et joyeux des cuisines ;
Le triomphe de l'ombre, obscène, effronté, cru ;
Le souper de Satan dans un rêve apparu.

A l'angle de la cour, ainsi qu'un témoin sombre,
Un squelette de tour, formidable décombre,
Sur son faîte vermeil d'où s'enfuit le corbeau,
Dresse et secoue aux vents, brûlant comme un flambeau,
Tout le branchage et tout le feuillage d'un orme ;
Valet géant portant un chandelier énorme.

Le drapeau de l'empire, arboré sur ce bruit,
Gonfle son aigle immense au souffle de la nuit.

Tout un cortége étrange est là ; femmes et prêtres ;
Prélats parmi les ducs, moines parmi les reîtres ;
Les crosses et les croix d'évêques, au milieu
Des piques et des dards, mêlent aux meurtres Dieu,
Les mitres figurant de plus gros fers de lance.
Un tourbillon d'horreur, de nuit, de violence,
Semble emplir tous ces coeurs ; que disent-ils entre eux,
Ces hommes ? En voyant ces convives affreux,
On doute si l'aspect humain est véritable ;
Un sein charmant se dresse au-dessus de la table,
On redoute au-dessous quelque corps tortueux ;
C'est un de ces banquets du monde monstrueux
Qui règne et vit depuis les Héliogabales ;
Le luth lascif s'accouple aux féroces cymbales ;
Le cynique baiser cherche à se prodiguer ;
Il semble qu'on pourrait à peine distinguer
De ces hommes les loups, les chiennes de ces femmes ;
A travers l'ombre, on voit toutes les soifs infâmes,
Le désir, l'instinct vil, l'ivresse aux cris hagards,
Flamboyer dans l'étoile horrible des regards.

Quelque chose de rouge entre les dalles fume ;
Mais, si tiède que soit cette douteuse écume,
Assez de barils sont éventrés et crevés
Pour que ce soit du vin qui court sur les pavés.

Est-ce une vaste noce ? est-ce un deuil morne et triste ?
On ne sait pas à quel dénoûment on assiste,
Si c'est quelque affreux monde à la terre étranger ;
Si l'on voit des vivants ou des larves manger ;
Et si ce qui dans l'ombre indistincte surnage
Est la fin d'un festin ou la fin d'un carnage.

Par moment le tambour, le cistre, le clairon,
Font ces rages de bruit qui rendaient fou Néron.
Ce tumulte rugit, chante, boit, mange, râle.
Sur un trône est assis Ratbert, content et pâle.

C'est, parmi le butin, les chants, les arcs de fleurs,
Dans un antre de rois un Louvre de voleurs.

Presque nue au milieu des montagnes de roses,
Comme les déités dans les apothéoses,
Altière, recevant vaguement les saluts,
Marquant avec ses doigts la mesure des luths,
Ayant dans le gala les langueurs de l'alcôve,
Près du maître sourit Matha, la blonde fauve ;
Et sous la table, heureux, du genou la pressant,
Le roi cherche son pied dans les mares de sang.

Les grands brasiers, ouvrant leurs gouffres d'étincelles,
Font resplendir les ors d'un chaos de vaisselles ;
On ébrèche aux moutons, aux lièvres montagnards,
Aux faisans, les couteaux tout à l'heure poignards ;
Sixte Malaspina, derrière le roi, songe ;
Toute lèvre se rue à l'ivresse et s'y plonge ;
On achève un mourant en perçant un tonneau ;
L'oeil croit, parmi les os de chevreuil et d'agneau,
Aux tremblantes clartés que les flambeaux prolongent,
Voir des profils humains dans ce que les chiens rongent ;
Des chanteurs grecs, portant des images d'étain
Sur leurs chapes, selon l'usage byzantin,
Chantent Ratbert, césar, roi, vainqueur, dieu, génie ;
On entend sous les bancs des soupirs d'agonie ;
Une odeur de tuerie et de cadavres frais
Se mêle au vague encens brûlant dans les coffrets
Et les boîtes d'argent sur des trépieds de nacre ;
Les pages, les valets, encor chauds du massacre,
Servent dans le banquet leur empereur, ravi
Et sombre, après l'avoir dans le meurtre servi ;
Sur le bord des plats d'or on voit des mains sanglantes ;
Ratbert s'accoude avec des poses indolentes ;
Au-dessus du festin, dans le ciel blanc du soir,
De partout, des hanaps, du buffet, du dressoir,
Des plateaux où les paons ouvrent leurs larges queues,
Des écuelles où brûle un philtre aux lueurs bleues,
Des verres, d'hypocras et de vin écumants,
Des bouches des buveurs, des bouches des amants,
S'élève une vapeur, gaie, ardente, enflammée,
Et les âmes des morts sont dans cette fumée.

_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
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