Toutes les faims sont satisfaites
C'est que les noirs oiseaux de l'ombre ont eu raison,
C'est que l'orfraie a bien flairé la trahison,
C'est qu'un fourbe a surpris le vaillant sans défense,
C'est qu'on vient d'écraser la vieillesse et l'enfance.
En vain quelques soldats fidèles ont voulu
Résister à l'abri d'un créneau vermoulu ;
Tous sont morts ; et de sang les dalles sont trempées ;
Et la hache, l'estoc, les masses, les épées,
N'ont fait grâce à pas un, sur l'ordre que donna
Le roi d'Arle au prévôt Sixte Malaspina.
Et, quant aux plus mutins, c'est ainsi que les nomme
L'aventurier royal fait empereur par Rome,
Trente sur les crochets et douze sur le pal
Expirent au-dessus du porche principal.
Tandis qu'en joyeux chants les vainqueurs se répandent,
Auprès de ces poteaux et de ces croix où pendent
Ceux que Malaspina vient de supplicier,
Corbeaux, hiboux, milans, tout l'essaim carnassier,
Venus des monts, des bois, des cavernes, des havres,
S'abattent par volée et font sur les cadavres
Un banquet, moins hideux que celui d'à côté.
Ah! Le vautour est triste à voir, en vérité,
Déchiquetant sa proie et planant ; on s'effraie
Du cri de la fauvette aux griffes de l'orfraie,
L'épervier est affreux rongeant des os brisés ;
Pourtant, par l'ombre immense on les sent excusés,
L'impénétrable faim est la loi de la terre,
Et le ciel, qui connaît la grande énigme austère,
La nuit, qui sert de fond au guet mystérieux
Du hibou promenant la rondeur de ses yeux
Ainsi qu'à l'araignée ouvrant ses pâles toiles,
Met à ce festin sombre une nappe d'étoiles ;
Mais l'être intelligent, le fils d'Adam, l'élu
Qui doit trouver le bien après l'avoir voulu,
L'homme, exterminant l'homme et riant, épouvante
Même au fond de la nuit, l'immensité vivante,
Et, que le ciel soit noir ou que le ciel soit bleu,
Caïn tuant Abel est la stupeur de Dieu.