O pauvres femmes
De pêcheurs! c'est affreux de se dire : -Mes âmes,
Père, amant, frères, fils, tout ce que j'ai de cher,
C'est là, dans ce chaos! Mon coeur, mon sang, ma chair!-
Ciel! être en proie aux flots, c'est être en proie aux bêtes.
Oh! songer que l'eau joue avec toutes ces têtes,
Depuis le mousse enfant jusqu'au mari patron,
Et que le vent hagard, soufflant dans son clairon,
Dénoue au-dessus d'eux sa longue et folle tresse,
Et que peut-être ils sont à cette heure en détresse,
Et qu'on ne sait jamais au juste ce qu'ils font,
Et que, pour tenir tête à cette mer sans fond,
A tous ces gouffres d'ombre où ne luit nulle étoile,
Ils n'ont qu'un bout de planche avec un bout de toile!
Souci lugubre! on court à travers les galets,
Le flot monte, on lui parle, on crie : -Oh! rend-nous-les!-
Mais, hélas! que veut-on que dise à la pensée
Toujours sombre, la mer toujours bouleversée!
Jeannie est bien plus triste encor. Son homme est seul!
Seul dans cette âpre nuit! seul sous ce noir linceul!
Pas d'aide. Ses enfants sont trop petits. O mère!
Tu dis : -S'ils étaient grands! Leur père est seul!- Chimère!
Plus tard, quand ils seront près du père, et partis,
Tu diras en pleurant : -Oh! s'ils étaient petits!-