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 Victor HUGO (1802-1885) Du milieu

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Victor HUGO (1802-1885) Du milieu Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Du milieu   Victor HUGO (1802-1885) Du milieu Icon_minitimeMar 27 Sep - 22:03

Du milieu
De l'abîme on les vit surgir dans l'ombre impure.
L'un ressemblait au meurtre et l'autre à la luxure,
L'autre à la fraude, l'autre à l'orgueil, celui-ci
Au mensonge, et d'horreur je demeurai saisi,
Car ils avaient du mal toutes les ressemblances.
À travers cette nuit, les brouillards, les silences,
Dans ce gouffre sans fond de toutes parts béant,
Dans ces immensités qu'emplissait le néant,
Ils se dressaient, le sceptre appuyé sur l'épaule ;
Les uns, Molochs blanchis par les neiges du pôle,
D'autres ayant au front un reflet du midi,
Tous habillés de pourpre et d'or, l'oeil engourdi,
L'air superbe, l'épée au flanc, couronne en tête,
Globe en main ; chacun d'eux était seul sur le faîte
D'un trône, comme un roi d'Édom ou d'Issachar,
Et chaque trône était porté sur un grand char.
Devant chaque fantôme, en la brume glacée,
Ayant le vague aspect d'une croix renversée
Venait un glaive nu, ferme et droit dans le vent.
Qu'aucun bras ne tenait et qui semblait vivant.
Les vapeurs au-dessous flottaient basses et lentes.
Les chars étaient traînés par des bêtes volantes,
Montres inconnus même au gouffre sans clarté ;
Attelages impurs ! L'un était emporté
Par des tigres ailés au pied large, aux yeux mornes,
L'autre par des griffons, l'autre par des licornes,
L'autre par des vautours à deux têtes, ayant
Des diadèmes d'or sur leur front flamboyant.
Tous ces monstres poussaient des cris, battaient de l'aile
Tantôt mêlés, tantôt en ligne parallèle.
Les trônes approchaient sous ces lugubres cieux,
On entendait gémir autour des noirs essieux
La clameur de tous ceux qu'avaient broyés leurs roues ;
Ils venaient, ils fendaient l'ombre comme des proues ;
Sous un souffle invisible ils semblaient se mouvoir ;
Rien n'était plus étrange et plus farouche à voir
Que ces chars effrayants tourbillonnant dans l'ombre.
Dans le gouffre tranquille où l'humanité sombre,
Ces trônes de la terre apparaissaient hideux.

Le dernier qui venait, horrible au milieu d'eux,
Était à chaque marche encombré de squelettes
Et de cadavres froids aux bouches violettes,
Et le plancher rougi fumait, de sang baigné ;
Le char qui le portait dans l'ombre était traîné
Par un hibou tenant dans sa griffe une hache.
Un être aux yeux de loup, homme par la moustache,
Au sommet de ce char s'agitait étonné,
Et se courbait furtif, livide et couronné.
Pas un de ces césars à l'allure guerrière
Ne regardait cet homme. À l'écart, et derrière,
Vêtu d'un noir manteau qui semblait un linceul,
Espèce de lépreux du trône, il venait seul ;
Il posait les deux mains sur sa face morose
Comme pour empêcher qu'on y vît quelque chose :
Quand parfois il ôtait ses mains en se baissant,
En lettres qui semblaient faites avec du sang
On lisait sur son front ces trois mots : Je le jure.

Quoiqu'ils fussent encore au fond de l'ombre obscure,
Hommes hideux, de traits et d'âge différents,
Je les distinguais tous, car ils étaient très grands.
Je crus voir les titans de l'antique nature.
Mais ces géants brumeux décroissaient à mesure
Qu'ils s'éloignaient du point dont ils étaient partis,
Et, plus ils s'approchaient, plus ils étaient petits.
Ils rentraient par degrés dans la stature humaine ;
La clarté les fondait ainsi qu'une ombre vaine ;
Eux que j'avais crus hauts plus que les Apennins,
Quand ils furent tout près de moi, c'étaient des nains.
Et l'ange, se dressant dans la brume indécise,
Était penché sur eux comme la tour de Pise.
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Victor HUGO (1802-1885) Du milieu
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