Il s'en retourna seul au désert; et cet homme,
Ce chasseur, c'est ainsi que la terre le nomme,
Avait un projet sombre; et les vagues démons
Se le montraient du doigt. Il prit sur de grands monts
Que battaient la nuée et l'éclair et la grêle,
Quatre aigles qui passaient dans l'air, et sous leur aile
Il mit tout ce qu'il put de la foudre et des vents.
Puis il écartela, hurlant, mordant, vivants,
Entre ses poings de fer, quatre lions lybiques,
Et suspendit leurs chairs au bout de quatre piques.
Puis le géant rentra dans Suze aux larges tours,
Et songea trente jours; au bout des trente jours,
Nemrod prit dans sa main les aigles, sur sa nuque
Chargea les lions morts, et, suivi de l'eunuque,
S'en alla vers le mont Ararat, grand témoin.
Il monta vers la cime où les peuples de loin
Voyaient trembler au vent le squelette de l'arche.
Il atteignit le faîte en deux heures de marche.
L'arche en voyant Nemrod trembla. Le dur chasseur
Prit ces débris, verdis dans leur lourde épaisseur
Par la terre mouillée, antique marécage,
Et de ces madriers construisit une cage,
Chevillée en airain, carrée, à quatre pans,
Et sur les trous du bois mit des peaux de serpents;
Et cette cage, vaste et sinistre tanière,
Pour toute porte avait deux trappes à charnière,
L'une dans le plafond, l'autre dans le plancher.
Et l'eunuque tremblait et n'osait approcher.
Nemrod debout foulait le pic inabordable.
Il allait et venait, charpentier formidable;
La terre l'écoutait remuer sur le mont;
Le bruit de son marteau, troublant l'éther profond,
Faisait au loin lever la tête aux monts Carpathes;
Accroupis, devant Thèbe allongeant leurs deux pattes,
De leur oeil fixe où l'ombre a l'air de rayonner,
Les sphynx le regardaient, cherchant à deviner.
Et la mer Caspienne en bas rongeait la grève.
Au bout d'un long sapin il attacha son glaive,
Puis pesa dans sa main ce vaste javelot,
Et dit : c'est bien. Le mont qu'avait couvert le flot
Et qui connaissait Dieu, frémit sous sa pensée.