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 Victor HUGO (1802-1885) Encor si je pouvais dormir; Si, seulement

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Inaya
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Victor HUGO (1802-1885) Encor si je pouvais dormir; Si, seulement Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Encor si je pouvais dormir; Si, seulement   Victor HUGO (1802-1885) Encor si je pouvais dormir; Si, seulement Icon_minitimeJeu 29 Sep - 22:46

Encor si je pouvais dormir; Si, seulement
Une heure, une minute, un instant, un moment,
Le temps qu'une onde passe au fond du lac sonore,
Fût-ce pour m'éveiller plus lamentable encore,
Sur n'importe quels durs et funèbres chevets,
Si je pouvais poser mon front; Si je pouvais,
Nu, sur un bloc de bronze ou sur un tas de pierres,
L'une de l'autre, hélas! rapprocher mes paupières,
Et m'étendre, et sentir quelque chose de frais,
De doux et de serein, comme si je mourais;
Si je pouvais me perdre un moment dans un songe,
Apaiser dans mon flanc ce qui remue et ronge,
Aspirer un fluide étrange, aérien,
Impalpable, et flotter, et n'entendre plus rien,
Ni mon aile frémir, ni battre mon artère,
Ni ces cris dont je suis la cause sur la terre :
- Tuons! Frappons! Damnons! J'ai peur! J'ai froid! J'ai faim!
Sentir ma misérable oreille sourde enfin!
Oh! me coucher, rentrer mes griffes sous ma tête,
Dire : « C'est bien! je dors, tout comme une autre bête,
« Comme un léopard, comme un chacal, comme un loup!
« Une nuée auguste et calme me dissout! »
Mais non; jamais! Je traîne à jamais l'insomnie
Dans une immensité sinistre d'agonie.
Ne pas mourir, ne pas dormir. Voilà mon sort.
En songe on ne sort pas, mais on croit que l'on sort;
C'est assez. Je n'ai point cette trêve. Ma peine
C'est d'être là, toujours debout; d'être une haîne
Eternelle, guettant dans l'ombre affreusement;
Et c'est de regarder sans cesse fixement
Les escarpements noirs du mystère insondable.
Voir toujours fuir, ainsi qu'une île inabordable,
Le sommeil et le rêve, obscurs paradis bleus
Où sourit on ne sait quel azur nébuleux;
O condamnation!

Je suis sous cette voûte.
Je regarde l'horreur profonde, et je l'écoute.
Pas un être ne peut souffrir sans que j'en sois.
Je suis l'affreux milieu des douleurs. Je perçois
Chaque pulsation de la fièvre du monde.
Mon ouïe est le centre où se répète et gronde
Tout le bruit ténébreux dans l'étendue épars;
J'entends l'ombre. O tourment; le mal de toutes parts
M'apporte en mon cachot son âpre joie aiguë;
J'entends glisser l'aspic et croître la ciguë;
Le mal pèse sur moi du zénith au nadir;
La mer a beau hurler, l'avalanche bondir,
L'orage entreheurter les foudres qu'il secoue,
L'éclatant zodiaque a beau tourner sa roue
De constellations, sombre meule des cieux,
A travers le fracas vaste et prodigieux
Des astres dont parfois le groupe énorme penche,
A travers l'océan, la foudre et l'avalanche
Roulant du haut des monts parmi les sapins verts,
J'entends le pas d'un crime au bout de l'univers.
La parole qu'on dit tout bas, qui n'est pas vraie,
L'obscur tressaillement du blé qu'étreint l'ivraie,
La gangrène qui vient mordre la plaie à vif,
Le chuchotement sourd des flots noyant l'esquif,
Le silence du chien près du nid de la grive,
J'entends tout, je n'échappe à rien, et tout m'arrive
A la fois dans ce bagne où je suis submergé;
Tous les fléaux en moi retentissent; et j'ai
Le contre-coup de tous les monstres; et je songe,
Ecoutant la fureur, la chute, le mensonge
De toute cette race immonde de Japhet;
Je distingue le bruit mystérieux que fait
Dans une conscience un forfait qu'on décide;
O nuit! j'entends Néron devenir parricide.

Sommeil, lieu sombre, espace ineffable, où l'on est
Doux comme l'aube et pur comme l'enfant qui naît,
Dormir, ô guérison, détachement, rosée,
Stupeur épanouie, immense ombre apaisée,
Repos sacré, douceur farouche, bercement
Qui trempe dans les cieux les coeurs, noir et charmant,
Oh! ce bain des remords, ce baume des ulcères,
La paix qui fait lâcher ce qu'on a dans les serres
N'avoir jamais cela; jamais! n'avoir jamais
Cet assoupissement sur les vagues sommets,
Ce sommeil, devant qui les âmes sont pareilles,
Qui change l'antre en nid, et permet aux abeilles
De voler dans la gueule ouverte des lions!
Oh! cette voix qui dit : calmons et délions;
Ne l'entendre jamais dans mes nuits convulsives;
La flamme à la prunelle et la bave aux gencives,
Veiller, veiller, veiller, grincer des dents, voilà
Dans quelles profondeurs ma faute me scella;
Sort hideux; m'enfermer dans la nuit, et m'exclure
Du sommeil! me livrer à cette âcre brûlure,
La veille sans repos, le regard toujours noir,
Toujours ouvert! O nuit sans pitié; ne pouvoir
Lui prendre un peu de calme, et l'avoir sur moi toute!
Englouti dans l'oubli, n'en pas boire une goutte;

Toujours être aux aguets; toujours être en éveil!

O vous tous, êtres! fils de l'ombre ou du soleil,
Qui que vous soyez, morts, vivants, oiseaux des grèves,
Esprits de l'air, esprits du jour, larves des rêves,
Faces de l'invisible, anges, spectres, venez,
Vous trouverez Satan les yeux ouverts. Planez,
Rampez, allez-vous-en, revenez; Satan veille
Les yeux ouverts. C'est l'ombre ou c'est l'aube vermeille;
Il a les yeux ouverts. Hier, demain, toujours!
Laissez s'enfuir les pas du temps, tardifs ou courts,
Après des millions de jours, de mois, d'années,
De siècles, de saisons écloses ou fanées,
De flux et de reflux, de printemps et d'hivers,
Venez, vous trouverez Satan les yeux ouverts.
Deux yeux fixes, voilà le fond de l'épouvante.

L'obscurité spectrale, informe, décevante,
Chimérique, me tient dans ces gouffres, béant
Et ployé sous le poids monstrueux du néant.
Je souffre. Oh! seulement un instant que je dorme;
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Victor HUGO (1802-1885) Encor si je pouvais dormir; Si, seulement
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