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 Victor HUGO (1802-1885) Or, en ce même instant, l'horreur indivisible

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Inaya
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Victor HUGO (1802-1885) Or, en ce même instant, l'horreur indivisible Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Or, en ce même instant, l'horreur indivisible   Victor HUGO (1802-1885) Or, en ce même instant, l'horreur indivisible Icon_minitimeJeu 29 Sep - 22:51

Or, en ce même instant, l'horreur indivisible,
Sans palpitation, sans souffle et sans échos,
La lugubre unité de tombe et de chaos
Qu'on nomme Enfer, voyait une chose inouïe.

Une forme, parfois soudain évanouie,
Puis renaissant, flottant au loin, puis s'abîmant,
Sorte de voile ayant un vague mouvement,
Glissait sous ce plafond qu'on prendrait pour un rêve.

Cette figure était la même que la grève
Du fleuve Seine avait vue errer autrefois,
Et jeter dans les vents sa redoutable voix.

Elle allait, comme l'algue erre... - A travers le voile
La fixité des yeux flamboyait, et la toile
Dont ce voile était fait, semblait avoir été
Tissue avec du rêve et de l'obscurité.
Elle sondait l'enfer qui sans fin se prolonge;
Dans la stagnation des ténèbres, qui songe,
Et qui, farouche, a l'air d'un crime qui se tait,
Elle passait, tournait, descendait, remontait,
Prenant on ne sait quels plis informes pour guides,
Blême aux endroits obscurs, noire aux endroits livides.
Ainsi vole à travers les branches l'émouchet.
Parfois, comme quelqu'un qui cherche, elle touchait
Le mur prodigieux de la cave du monde.
Elle serpentait, lente et souple comme une onde,
Dans l'abîme où l'esprit lit ce mot triste : Absent.
Souvent elle laissait derrière elle en passant
Le bleuissement pâle et fugitif du soufre.

Soudain, comme sentant sous elle plus de gouffre,
Elle hésita, pencha ce qui semblait son front,
Et regarda.

La nuit qu'aucun jour n'interrompt
Gisait dans l'étendue effroyable et sublime.
Ce précipice émit de la mort, faite abîme.
On y sentait flotter du sépulcre dissous.
On voyait de la nuit sous la nuit; au-dessous
De l'ombre, dans un vide étrange, on voyait l'ombre.

Tout au fond remuait une apparence sombre;
Un fantôme entrevu, submergé, trouble, enfui,
Errant, rampant; c'était le Damné; c'était Lui.

On distinguait un front, des ailes, des vertèbres.

C'était l'archange larve, âme des lieux funèbres
Mêlant en lui de l'astre avec de l'animal;
C'était l'être sinistre en qui pense le mal;
C'était le criminel que le crime exécute;
C'était plus qu'un esprit tombé; c'était la Chute.

Le chaos se roulait sur l'ange en se gonflant;
Par intervalle, un ongle, un large crâne, un flanc
Rayé comme les lynx, les guêpes et les zèbres
Se dressait dans le spasme horrible des ténèbres
Ses écailles semblaient de fumée et de jais.
On croyait voir quelqu'un de ces vagues objets
Tortueux et flottants, dont on craint la piqûre.
Offrant tous les aspects dans une ébauche obscure,
Céleste, bestial, humain, vertigineux,
Laissant voir une face au milieu de ses noeuds,
Enflant des plis confus dans l'ombre où rien ne brille,
C'était par instants l'hydre et parfois la chenille.
Il se traînait, visqueux, blême, éclipsé, terni,
Reptile colossal du cloaque infini.

La caverne d'en bas de Tout; voilà ce gouffre.

C'était du vide en pleurs et du miasme qui souffre.
D'affreux rocs ébauchaient de noirs décharnements;
On croyait, dans la brume épaisse, par moments,
Entrevoir le cadavre effrayant de la Cause;
Tout était mort; Satan rôdait dans quelque chose
D'informe et de hideux qui paraissait détruit;
De sorte qu'au milieu de la fétide nuit,
Tout étant noirceur, peste, épouvante, misère,
Lividité, ruine, il semblait nécessaire
Qu'au fond de cette tombe on vit ramper ce ver.

Si quelque ange, égaré dans l'éternel hiver,
Fouillant la profondeur du vide impénétrable,
Hélas! fût arrivé jusqu'à ce misérable,
Il n'eût rien retrouvé dans ce dieu de l'enfer
Du géant éclaireur qu'on nommait Lucifer.
L'abîme avait fini par entrer dans sa forme.
La condamnation, lourde, lépreuse, énorme,
S'était, sur cet archange à jamais rejeté,
Lentement déposée en monstruosité.
L'impur typhus sortait de son haleine amère.
Parfois, car ce brouillard est rempli de chimère,
Dans cette nuit que, seul, le vertige connaît,
Quelque ruissellement de lueur dessinait
Son dos ou la membrane immonde de son aile.
La rondeur de sa rouge et fatale prunelle
Semblait, dans la terreur de ces lieux inouïs,
Une goutte de flamme au fond du puits des nuits.
Sa face était le masque effaré du vertige.
A de certains moments, phases du noir prodige,
Un flamboiement, sortant de lui, glissait sur lui;
L'abîme aveugle était brusquement ébloui;
Alors, ô vision! à travers l'insondable,
A travers l'inconnu qui n'est pas regardable,
Dans l'étrange épaisseur du gouffre devenu
Glauque autour du colosse inexprimable et nu,
Satan apparaissait dans toute sa souffrance;
Le démon fulgurant, dans cette transparence,
Horrible, se tordait comme un éclair noyé.
Puis la nuit revenait, glacée et sans pitié;
La vaste cécité refluait sous la voûte
De l'éternel silence et l'engloutissait toute;
Et l'enfer, un instant montré, se refermant,
Lugubre, s'emplissait d'évanouissement.
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Victor HUGO (1802-1885) Or, en ce même instant, l'horreur indivisible
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