MAUVAISES LANGUES
Un pigeon aime une pigeonne.
Grand scandale dans le hallier
Que tous les ans mai badigeonne.
Une ramière aimé un 'ramier.
Leur histoire emplit les charmilles.
Par les leurs ils sont compromis.
Cela se voit dans les familles
Qu'on est entouré d'ennemis.
Espionnage et commérage.
Rien ne donne plus d'âcreté,
De haine, de vertu, de rage
Et de fiel, qu'un bonheur guetté.
Que de fureur sur cette églogue!
L'essaim volant aux mille voix
Parle, et mêle à , son dialogue
Toutes les épines des bois.
L'ara blanc, là mésange bleue,
Jettent des car, des si, des mais,
Où, les gestes des hoche-queue.
Semblent semer des guillemets:
« -J'en sais long sur la paresseuse,
Dit un corbeau, juge à mortier.
- Moi, je connais sa blanchisseuse.
- Et moi, je connais son portier.
- Certe, elle n'est point sauvagesse.
- Est-on sûr qu'ifs sont mariés?
- Voilà, pour le prix de sagesse,
Deux pigeons bien avariés. »
Le geai dit: Leurs 'baisers blasphèment.
Le pinson chante' Ça ira.
La linotte fredonne: Ils s'aiment.
La -pie ajoûte -: ' Et cætera.
'On lit que vers elle il se glisse
Le soir, avec de petits cris, ' -
Dans le rapport à la police
Fait par.:une chauve-souris.
Le peuple ailé s'indigne, tance,
Fulmine un verdict, lance un bill.
Tel est le monde. Une sentence,
Redoutable, sort du babil.
Cachez-vous, Rosa. Fuyez vite
Loin du bavardage acharné.
L'amourette qu'on ébruite
Est un rosier déraciné.
Tout ce conte, ô belle ineffable,
Doit par vous être médité.
Prenez garde, c'est une fable,
C'est-à-dire une vérité.
9 août 1865.