À UN ROI DE TROISIÈME ORDRE
Roi,tu m'as-expulsé, me dit-on. Peu m'importe.
De plus, un acarus, dans un journal cloporte,
M'outrage de ta part et de la part du ciel;
Affront royal qui bave en style officiel.
Je ne te réponds pas. J'ai cette impolitesse.
Vois-t'u, roi, ce n'est pas grand'chose qu'une altesse.
Ton journaliste et toi, je vous ignore, étant
Fort occupé des fleurs que Dieu dans cet instant
Nous prodigue, et voulant fêter le mois des roses.
D'ailleurs, je ne crois pas que les grands' sphinx moroses,
Ni que le sombre écueil hanté par l'alcyon,
Fassent dans l'infini beaucoup d'attention
Les uns au grain de sable et l'autre au jet d'écume.
Qu'un courtisan insulte et qu'un lampion 'fume,
C'est tout simple; un rêveur n'en est point irrité;
C'est pourquoi je suis calme envers ta majesté.
Tu peux tranquillement décorer ton bourgmestre.
Par la grâce du Dieu que protège de Maistre,
Tu règnes, et ton scribe écrit. Vivez en paix.
J'erre, fauve chasseur, dans les halliers épais;
J'écoute l'aboiement d'une meute idéale;
Je tiens à la grandeur 'de la bête royale;
Et j'aime à rencontrer de fiers êtres méchants
Afin de rassurer le monde avec mes chants;
Je ne suis pas fâché quand des lions m'attaquent;
Des monstres, légions rugissantes, me traquent,
C'est bien, je les attends, songeant sous des cyprès.
Je leur montre les dents quand ils viennent trop près;
J'en. fais, quand il le faut,,. un exemple efficace;
Et l'on peut voir dans l'ombre à mes pieds la carcasse
De l'un d'eux qui, je crois, était un empereur.
Mais j'ai fort peu le temps de me mettre en fureur,
Et j'aime mieux rester tranquille. Je médite
Sur la terre, bénie au fond des cieux, maudite
Au fond des temples noirs par le fakir sanglant;
J'aime dans l'oeuf l'oiseau, le chêne dans le gland,
Dans l'enfant l'avenir, et sitôt que l'aurore.
Commence à nous verser du jour, je dis: Encore!
Et je demande au ciel pour nous, humanité,
Un élargissement immense de clarté;
Les injures qu'on peut me faire sont couvertes
Par l'azur, par le doux frisson des branches vertes,
Par le divin babil des nids mélodieux;
Cette nature a tant d'oreilles et tant d'yeux,
Elle regarde avec tant. de majesté l'homme,
Elle est si bien prodigue et si bien économe
De sa force que tout reçoit, que rien ne perd,
Elle mêle un tel verbe à son puissant concert,
Que je sens le besoin d'être un songeur utile;
Dieu surveille le vent, je surveille mon style,
Car l'orage et le vers seraient de vils moqueurs
Si l'un troublait les flots, si l'autre ouvrait les coeurs
. Sans règle, et s'ils n'avaient pour but, dans l'ombre infâme,
L'un d'assainir la mer, l'autre d'agrandir l'âme;
L'ombre, c'est l'ennemi, je la combats; je veux.
Aux énigmes du sort arracher des aveux,
Leur ôter notre coeur qu'elles ont dans leur serre,
Dissiper l'ignorance, abolir la misère;
Je suis l'esprit sévère, inquiet, froid, hautain,
. Et le contradicteur de l'énorme destin;
Je marche sous l'horreur des branchages superbes,
Dans les profondes fleurs et dans les hautes herbes,
Ignorant les pays. interdits à mes pas,
Insulté de si loin que. je ne le sais pas;
J'aime tous les soleils et toutes les patries;
Je suis le combattant des grandes rêveries,
Le songe est mon ami, l'utopie est ma soeur;
Je n'aide haine en moi qu'à force de douceur;
J'écoute, comme un bruit de vagues débordées,
Le murmure confus des futures. idées,
Et je prépare un à ce torrent qui vient;
Je sais que. Dieu promet, ce que. l'avenir tient,
LA CORDE D'AIRAIN, X ALSACE ET LORRAINE 527
Et j'apprête au progrès sa route dans l'espace;
Je défends les berceaux et les tombeaux, je passe,
Ayant le vrai, le bien, le beau, pour appétits,
Inattentif aux rois quand ils sont trop-petits.
12 juin.