Quoi donc! avoir pour but cette lâcheté, plaire!
Se donner cet emploi noble, auguste, exemplaire,
La flatterie! avoir pour maîtres les passants!
Obéir au vent noir soufflant dans tous les sens!
Être contre, être pour, suivant le baromètre!
Blâmer, puis approuver, défendre, puis permettre,
Non selon le devoir, mais selon le succès!
Parce qu'il est des fous risqûant tous les essais,
Qui violent nos droits au nom de nos principes,
. Laisser faire! Laisser dénaturer les types
De l'honneur, du progrès, du droit, de l'équité!
Vouloir le talion! souffrir, ô Liberté,
Qu'un trousseau de clés pende et sonne à ta ceinture!
Quand dans une ombre énorme et triste on aventure
Toutes les vérités en deuil, dire: C'est bon!
Nier l'astre, admirer la blancheur du charbon,
Déclarer vrai le faux, et l'injustice juste,
Louer Carrier après avoir flétri Procuste!
Vêtir sa conscience au gré de la saison!
Se mettre à la fenêtre et guetter l'horizon,
Regarder se gonfler telle ou telle bannière,
Pour savoir à quelle heure et de quelle manière
On pourrait être vil le plus utilement!
Quoi!.ce principe hier sincère, aujourd'hui ment!
Quoi! toute vérité qui gêne n'est plus vraie!
Si c'est mon intérêt, le cygne est une orfraie,
Peuple, et de ce lion, le droit, je fais mon chien!
Il suffit, pour changer soudain le mal en bien,
Que ce soit un tyran. qui règne, au lieu d'un autre,
C'est un roi, l'on combat; c'est la foule, on se vautre.
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Quoi! le penseur aura tonné superbement
Si c'est un empereur qui se sert du supplice,
Si c'est la multitude, il en sera complice!
-Et cet homme indigné sera l'homme ébloui!
O ciel! Après avoir dit non, bégayer oui!
Et, devant l'échafaud, dès que la foule en use,
Mettre un lâche sourire au masque de Méduse!
Voilà donc où la soif de plaire conduirait!
Non! Non! Non! Déserter, pour un sombre intérêt,
Ces vérités que nous français, nous établîmes,
Au peuple honnête et bon et plein d'instincts sublimes,
Mais préférant parfois les bas-fonds aux sommets,
Dire qu'il a raison quand il a tort,: jamais"!
Ah! plutôt qu'accepter de telles servitudes;
L'hoinnie qui parle' ici fuirait aux solitudes,
Subirait tout, le froid, la faim;' l'exil' amer,
L'ennui, la surdité sauvage de la mer,
Tout, loin de la patrie et loin de la lumière, '
Et'le soir, bûcheron rentrant dans sa chaumière,
Las, "pieds nus, 'à travers les ronces, traînerait "
Derrière lui le bois coupé dans la forêt!...
27: avril 1871.