Ô princes insensés! quoi! ne tremblent-ils pas
D'ouvrir la porte eux-même aux colères d'en bas!
De donner quelque chose à briser à la foule!
D'ébranler, de leurs mains, la maison qui s'écroule!
Et d'appeler en aide à leurs iniquités,
D'appeler au secours de leurs lâchés traités,
De leur pouvoir caduc, de leurs lois menacées,
Le morne' paysàn plein d'obscures pensées!
Ils ont pu, sans pâlir, voir, à leur folle voix,
Sortir' des lieux ,profonds, des masures, des bois,
Pour se répandre en hâte au loin sur des décombres,
Le noir fourmillement des multitudes sombres!
Ô princes insensés! Dieu juste! enseigne-leur
Ta loi, ton but sacré, ta justice!
Ah! malheur!
Malheur dans les ,hameaux et malheur dans les villes,
Quand ,parmi nos débats et nos luttes civiles,
Parmi nos passions, nous voyons, ô terreur!
Apparaître soudain la faulx du laboureur,
Qui, terrible et fatale à tous tant que nous sommes,
Quitte les champs de blés et vient faucher les hommes!
Effroyable moisson! calamités! forfaits!
Faulx, d'où la gerbe d'or, l'abondance et la paix
Devaient sortir, hélas, et d'où sort le ravage!
Outil rustique et saint! arme horrible et sauvage!
O croissant, d'où jaillit un large et sombre éclair,
Faulx! symbole du temps, de la mort, de l'enfer,
De tout bras qui moissonne implacable servante,
Dieu! comment n'ont-ils pas frissonné d'épouvante,
Ces rois! quand ils ont vu soudain, au milieu d'eux,
Ton resplendissement formidable et hideux!
Comment n'ont-ils pas eu, le prince et le ministre,
Quelque éblouissement de ta clarté sinistre,
Et n'ont-ils pas dans l'ombre entrevu ton chemin:
Les seigneurs aujourd'hui, les couronnes demain '"!
XXIV
LE POËTÉ PREND LA PAROLE
J'ai pour muse, en ce monde où souffle un vent terrible
Sur l'homme et le destin, sur la graine et le crible,
Et sur les insensés livrés aux furieux,
Une sombre déesse au regard sérieux
Qui, lueur traversant l'ombre visionnaire,
Rôde dans la nuée, et, comme le'tonnerre,
Sent on ne sait quel noir besoin de châtier.
Car elle est juste. Eh quoi! voici le bénitier:
La bénédiction monstrueuse' y surnage;
Voici le vrai, le faux, changeant de personnage,
Le mal joyeux; voici les pires qui sont rois,
Les démons sur le trône et les dieux sur la croix,
Voici le Te Deum valet de la bataille;
Voici le meurtre absous s'il est de haute taille
Et devenant vertu par son énormité;
Voici l'épouvantable et double nudité
Grelottant sous le chaume ou riant dans l'orgie;
Voici la plaie au flanc de la terre élargie,
L'exil, le deuil, les pleurs, les héros, les bouchers,
Et sur les paradis des reflets de bûchers;
Voici la sacristie et voilà la mosquée;
Voilà dans la forêt la vérité traquée
Que mordent.tous ces chiens hurlants, les appétits;
Voici'tout le fardeau du mal sur les petits,
Voici partout l'atroce engendré par l'immonde,
Et vous vous étonnez qu'en haut une voix gronde,
Et que parfois dans l'ombre on voie au fond des cieux
Un pâle éclair sortir d'un vers mystérieux!
26 août 1874.