Roncevaux.
I
LES défilés sont noirs qui vont, par la montagne,
De la terre de France à la terre d’Espagne.
Les rocs amoncelés et droits comme des murs
Font des coudes étroits, des corridors obscurs,
Où celui qui s’engage à travers la broussaille
Hésite à chaque pas, voyageur qui tressaille.
Il voit au pied des monts que le temps a minés,
A droite, à gauche, il voit des blocs déracinés,
Des quartiers de granit dont l’arête s’émousse,
Et les vieux sapins morts étendus sur la mousse.
Il songe à ces combats affreux des premiers temps,
Quand les fils de la terre, énormes combattants,
Se défiaient entre eux d’une montagne à l’autre:
Luttes du monde ancien qui font pâlir le nôtre.
Séculaires témoins, les débris en sont là;
Ils sont là sur la pente où leur masse roula,
Et ne servent à l’homme, en leur chute profonde,
Qu’à le faire rêver de la date du monde.
Un fond de ces horreurs s’il relève les yeux.
Il aperçoit au loin, dans la clarté des cieux,
Un point sombre et mouvant: c’est un oiseau de proie,
Un épervier qui plane, un aigle qui tournoie,
Et, lentement bercé dans son vaste loisir,
Attend de voir là-bas un butin à saisir.
S’il écoute, il entend la rivière ou le gave
Pleuvant sur les rochers que leur écume lave;
Il entend la forêt qui soupire à grand bruit,
Et dit: « Sortons d’ici, sortons avant la nuit!»