XXI L’Epitaphe.
Quand le preux au linceul dormit dans la montagne,
Au bout de plusieurs mois, ceux qui vont en Espagne,
En venant au tombeau, purent voir, un matin,
Quelques vers incrustés sur la pierre, en latin.
Voici ce qu’on lisait: « Ne donnez pas vos larmes
Au soldat qui repose entouré de ses armes.
Ne pleurez pas ici le chevalier Roland
Qui désormais habite au ciel étincelant.
En vain le corps est là, couvert de sombres voiles:
L’âme s’est envolée au-dessus des étoiles.
La foi brillait en lui d’un éclat immortel.
Comme le chandelier qu’on place sur l’autel,
Il repoussait au loin le schisme et l’hérésie,
Toutes les vanités qui viennent de l’Asie.
Il fut grand par le coeur et puissant par la main.
Conquérant, il se mit de bonne heure en chemin,
Et, courant l’Univers d’un pas toujours agile,
Il fit régner partout le Dieu de l’Évangile.
Lion par le courage, agneau par la douceur,
De tous les opprimés il fut le défenseur.
Partout où les tyrans forgent leur dure chaîne,
Il accourait, terrible, et triomphait sans peine,
Et disait à tous ceux qu’il délivrait ainsi:
« C’est à Dieu, non à moi qu’il faut dire merci!»
Son coeur, large fontaine où toute soif s’abreuve,
S’ouvrait à l’indigent, à l’enfant, à la veuve,
Et, charitable à tous suivant les saintes lois,
Comme les mendiants il secourait les rois.
Vingt ans, il accomplit ses fières entreprises.
Il parcourait la terre en songeant aux églises,
Et, quand il revenait d’un voyage lointain,
C’est toujours à l’autel qu’il portait son butin.
Il dotait les couvents des moines ou des vierges.
Autour de la Madone il allumait des cierges;
Il offrait au Très-Haut tous les dons d’ici-bas.
O vous tous qui passez, ne le pleurez donc pas:
Vertu, gloire, bonté, valeur à qui tout cède.
Ce n’est pas ce tombeau, c’est Dieu qui le possède.»
Voilà ce que disaient aux pèlerins surpris
Ces mots sur le tombeau. Qui les avait écrits?
Sur ces rochers perdus au plus haut de la terre,
Quelle main les grava?. . . C’était là le mystère.
Plus tard, un chevrier vêtu d’une humble peau
Raconta qu’une nuit, seul, gardant son troupeau,
Il avait vu de loin une étrange merveille.
Pendant qu’il était là, s’ennuyant de sa veille,
Une grande lumière avait blanchi le ciel.
Le pâtre avait alors vu l’ange Gabriel
Descendre de la nue, et, penché sur la pierre,
Écrire l’épitaphe en lettres de lumière.