Le rossignol
Reste dons le bois solitaire,
Loin de tous les oiseaux jaloux.
Tout ce qui soupire est trop doux,
Trop beau, trop divin pour la terre
Où les soupirs doivent se taire.
Ah! tu chanterais à mourir,
Le coeur gonflé, la gorge pleine,
De tous les sanglots de ta peine.
Tout le mal qui te fait souffrir
Pourrait-il jamais attendrir?
Chante, au ciel d'avril qui te grise,
L'amour qui cherche un autre amour,
Chante à plein coeur. Le noir vautour
Ne pourra ravir à la brise
La chanson qu'il n'a pas comprise.
Reste caché dans le bois noir,
Où, de feuille en feuille, un murmure
Glisse à peine sous la ramure,
Pour qu'on devine, sans le voir,
Le plus divin chantre du soir.
Le pinson des guérets
Sa turelure est le thème
Tant de fois rossignolé:
« Sème, semeur, sème blé,
« Sème, semeur, sème, sème! »
Sème et sème à coeur de jour.
Sème en chaume, sème en friche,
Le blé de la blonde miche
Que brunit le sol du four.
Sème! c'est la bonne lune.
Saint Marc a bénit le grain
Qui doit rendre, en bon terrain,
Trente mesures pour une.
Les Rogations de mai,
Le soleil tiède et la pluie,
De la glèbe réjouie,
Ont rouvert le sein fermé.
Fais le geste de l'ancêtre.
Sème le bon blé pesant,
Le froment d'or tout luisant;
Et sème en croix, pour le prêtre.
Et tout le long du sillon,
L'homme règle son allure
Sur l'allègre turelure,
Sur un trille d'oisillon.
Ainsi, comme en vieille France,
Dans le mois du rossignol,
Chez nous, des semeurs du sol,
Le grand travail recommence.