V
Toi, triomphe à jamais, triomphe, âme immortelle!
Au-dessus de la vie et de ses flots fangeux.
Elève-toi, triomphe en cette heure, fût-elle
La dernière qui sonne à tes jours orageux!
Par delà le soleil, et par delà l’espace,
Et tous les univers destinés à périr,
Sur un trône éclatant, vainqueur du temps rapace,
D’avance va t’asseoir, toi qui ne peux mourir!
Rien n’atteindra jamais ton essence éternelle.
Qu’importe que le monde ait brisé ton essor!
A travers les barreaux de la prison charnelle
Brille un autre soleil plus puissant que le sort.
Le doute a beau nier la vérité céleste,
O Justice! son ombre affirme ton flambeau;
La minute s’écoule, et l’éternité reste;
L’immortel avenir pour socle a le tombeau!
Triomphez avec moi, vous tous, âmes blessées,
Coeurs gonflés d’amertume et d’amour méconnu,
Amans trahis, et vous, amantes délaissées,
Pleurant un rêve enfui qui n’est point revenu.
Triomphez, orphelins, triomphez, pauvres veuves,
Qui sanglotez tout bas sur un bonheur détruit,
Exilés qui le jour errez le long des fleuves,
Et qui le soir montez par l’escalier d’autrui!
Vous tous, héros obscurs, déshérités du monde,
Qui vivez de chagrins et de pleurs étouffés,
Poètes et penseurs que sous sa griffe immonde
L’égoïsme brutal asservit, triomphez!
Aux plats adorateurs de la vile matière,
L’amer dégoût, l’ennui stupide et le remord!
Chantons tous a la fois devant le cimetière
Un hymne de triomphe en face de la Mort!
Que les siècles futurs entrechoquent les astres
S’envolant en éclats dans l’abîme béant,
Nous marcherons sans peur à travers les désastres;
Et vous, -silence à vous, ô docteurs du néant!
A vous le désespoir de la décrépitude,
Jouets anticipés de la destruction!
A vous le doute affreux, à nous la certitude
Qui dit : Ame éternelle et résurrection!
Montons tranquillement l’échelle expiatoire
Qui descend sous nos pieds à chacun de nos jours;
Plus les coups du destin sont durs, plus la victoire
Nous tresse de lauriers en de meilleurs séjours.
Et quand viendra l’hiver, comme les hirondelles,
Nous partirons joyeux vers les bleus infinis;
Le monde peut mentir, les cieux restent fidèles;
Pour nos ailes toujours ils garderont des nids.
Toujours pour notre soif ils auront des fontaines,
Pour nos coeurs des amours et des printemps plus doux;
Les clartés de là-haut sont des clartés certaines,
Et l’espace et le temps ne peuvent rien sur nous!
Juillet 1880.
Médaille de vermeil. 2ème prix au Concours des "Soirées populaires"
de Verviers, 1883-1884. Publié à Verviers en 1885.