LE BON VIEILLARD
Joyeux enfants, vous que Bacchus rassemble,
Par vos chansons, vous m'attirez ici.
Je suis bien vieux; mais en vain ma voix tremble:
Accueillez-moi, j'aime à chanter aussi.
Du temps passé j'apporte des nouvelles;
J'ai bu jadis avec le bon Panard.
Amis du vin, de la gloire et des belles,
Daignez sourire aux chansons d'un vieillard.
De me fêter, hé quoi, chacun s'empresse!
À ma santé coule un vin généreux.
Ce doux accueil enhardit ma vieillesse:
Je crains toujours d'attrister les heureux.
Que les plaisirs vous couvrent de leurs ailes;
Avec le temps vous compterez plus tard.
Amis du vin, de la gloire et des belles,
Ainsi que vous j'ai vécu de caresses;
Vos grand'mamans diraient si je leur plus.
J'eus des châteaux, des amis, des maîtresses;
Amis, châteaux, maîtresses, ne sont plus.
Les souvenirs me sont restés fidèles;
Aussi parfois je soupire à l'écart.
Amis du vin, de la gloire et des belles,
Dans nos discords j'ai fait plus d'un naufrage,
Sans fuir jamais la France et son doux ciel.
Au peu de vin que m'a laissé l'orage,
L'orgueil blessé ne mêle point de fiel.
J'ai chanté même aux vendanges nouvelles,
Sur des coteaux dont j'eus long-temps ma part.
Amis du vin, de la gloire et des belles,
Vieux compagnon des guerriers d'un autre âge,
Comme Nestor je ne vous parle pas.
De tous les jours où brilla mon courage
J'achèterais un jour de vos combats.
Je l'avoûrai, vos palmes immortelles
M'ont rendu cher un nouvel étendard
Amis du vin, de la gloire et des belles,
Sur vos vertus quel avenir se fonde!
Enfants, buvons à mes derniers amours.
La liberté va rajeunir le monde;
Sur mon tombeau brilleront d'heureux jours.
D'un beau printemps, aimables hirondelles,
J'ai pour vous voir différé mon départ.
Amis du vin, de la gloire et des belles,