MON CARNAVAL
Sainte-Pélagie.
Amis, voici la riante semaine
Que tous les ans je fêtais avec vous.
Marotte en main, dans le char qu'il promène,
Momus au bal conduit sages et fous.
Sur ma prison, dans l'ombre ensevelie,
Il m'a semblé voir passer les amours.
J'entends au loin l'archet de la folie:
Ô mes amis, prolongez d'heureux jours!
Oui, je les vois ces danses amoureuses
Où la beauté triomphe à chaque pas.
De vingt danseurs je vois les mains heureuses
Saisir, quitter, ressaisir mille appas.
Dans ces plaisirs que votre coeur m'oublie:
Un seul mot triste en peut troubler le cours.
Ô mes amis, prolongez d'heureux jours!
Combien de fois, auprès de la plus belle,
Dans vos banquets j'ai présidé chez vous!
Là de mon coeur jaillissait l'étincelle
Dont la gaîté vous électrisait tous.
De joyeux chants ma coupe était remplie;
Je la vidais, mais vous versiez toujours.
Ô mes amis, prolongez d'heureux jours!
Des jours charmants la perte est seule à craindre;
Fêtez-les bien, c'est un ordre des cieux.
Moi je vieillis, et parfois laisse éteindre
Le grain d'encens dont je nourris mes dieux.
Quand la plus tendre était la plus jolie,
Des fers alors m'auraient paru bien lourds.
Ô mes amis, prolongez d'heureux jours!
Mais accourez, dès qu'une longue ivresse
Du calme enfin vous impose la loi.
Dernier rayon, qu'un reste d'alégresse
Brille en vos yeux et vienne jusqu'à moi.
Dans vos plaisirs ainsi je me replie;
Je suis vos pas, je chante vos amours.
Ô mes amis, prolongez d'heureux jours!