LA DEESSE
Sur une personne à qui l'auteur a vu représenter
La liberté dans une des fêtes de la révolution.
Est-ce bien vous, vous que je vis si belle
Quand tout un peuple, entourant votre char,
Vous saluait du nom de l'immortelle
Dont votre main brandissait l'étendard?
De nos respects, de nos cris d'alégresse,
De votre gloire et de votre beauté,
Vous marchiez fière: oui, vous étiez déesse,
Déesse de la liberté.
Vous traversiez des ruines gothiques;
Nos défenseurs se pressaient sur vos pas:
Les fleurs pleuvaient, et des vierges pudiques
Mêlaient leurs chants à l'hymne des combats.
Moi, pauvre enfant, dans une coupe amère,
En orphelin par le sort allaité,
Je m'écriais: " tenez-moi lieu de mère,
Déesse de la liberté. "
De noms affreux cette époque est flétrie;
Mais, jeune alors, je n'ai rien pu juger:
En épelant le doux mot de patrie
Je tressaillais d'horreur pour l'étranger.
Tout s'agitait, s'armait pour la défense;
Tout était fier, sur-tout la pauvreté.
Ah! Rendez-moi les jours de mon enfance,
Déesse de la liberté.
Volcan éteint sous les cendres qu'il lance,
Après vingt ans ce peuple se rendort;
Et l'étranger, apportant sa balance,
Lui dit deux fois: " gaulois, pesons ton or. "
Quand notre ivresse, au ciel rendant hommage,
Sur un autel élevait la beauté,
D'un rêve heureux vous n'étiez que l'image,
Déesse de la liberté.
Je vous revois, et le temps trop rapide
Ternit ces yeux où riaient les amours;
Je vous revois, et votre front qu'il ride
Semble à ma voix rougir de vos beaux jours.
Rassurez-vous: char, autels, fleurs, jeunesse,
Gloire, vertu, grandeur, espoir, fierté,
Tout a péri; vous n'êtes plus déesse,
Déesse de la liberté.