LIVRE 1 ELEGIE 3
à Eucharis.
Deux fois, j' ai pressé votre sein,
et vous m' avez, deux fois, repoussé sans colère.
Vous avez rougi du larcin :
ne fait-on que rougir, lorsqu' il a pu déplaire ?
Ah ! C' est assez : oui, je lis dans vos yeux,
et ma victoire et votre trouble extrême.
Mortel, à vos genoux, je suis égal aux dieux.
Vous m' aimez, je le vois, autant que je vous aime ;
mais de vos bras laissez-moi m' arracher :
il n' est pas temps de combler mon ivresse.
Unis trop tôt, nos coeurs, ô ma belle maîtresse,
de leurs liens encor pourraient se détacher.
Faites que mon amour dure autant que ma vie.
Laissez-moi par des soins acheter vos faveurs ;
n' écoutez ni soupirs, ni prières, ni pleurs ;
combattez ma plus chère envie ;
à mon désespoir même opposez des rigueurs.
Les longs hivers font les printemps durables ;
les noirs frimas épurent les beaux jours ;
et l' amant, asservi sous vos lois adorables,
doit espérer long-temps pour vous aimer toujours.