PLUME DE POÉSIES
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 François-René Chateaubriand (1768-1848) Duthona

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MessageSujet: François-René Chateaubriand (1768-1848) Duthona   François-René  Chateaubriand (1768-1848) Duthona Icon_minitimeJeu 24 Mai - 11:13

Duthona


" Pourquoi, ô mers ! élevez-vous votre voix parmi les rochers de Morven ? Vent
du midi, pourquoi épuises-tu ta rage sur mes collines ? Est-ce pour retenir ma
voile loin des rivages de l'ennemi, pour arrêter le cours de ma gloire ? Mais, ô
mers ! vos flots mugissent en vain ; vent du midi, tu peux souffler, mais tu
n'empêcheras point les vaisseaux de Fingal de voler à la contrée lointaine de
Dorla : ta fureur se calmera, et la surface azurée de l'Océan deviendra
tranquille et brillante. Oui, le bruit de la tempête cessera, mais la mémoire de
Fingal ne périra point. "

Ainsi parla le roi, et ses guerriers se rangèrent autour de lui. Le vent siffle
dans les cheveux touffus de Dumolach ; Leth se penche sur son bouclier d'airain,
tout ridé de mille cicatrices ; Molo agite dans les airs sa lance étincelante ;
la joie de la bataille est dans les yeux de Gormalon.

Nous cinglons à travers l'écume houleuse de l'Océan : les baleines effrayées
plongent au fond de l'abîme, les îles fuient ; elles s'abaissent tour à tour
derrière nous sous l'onde, et Duthona sort peu à peu devant nous du sein des
flots. Les vagues roulantes et élevées nous en dérobent de temps en temps la
vue. " C'est la terre de Connar, dit Fingal, le pays de l'ami de mon peuple. "

La nuit descend ; le ciel est ténébreux ; le pilote cherche en vain de ses
regards l'étoile qui nous guide ; il l'entrevoit quelquefois à travers le voile
déchiré d'un nuage : mais l'ouverture se referme, et le flambeau de notre route
se cache. " Les pas de la nuit sur l'abîme, dit Fingal, sont menaçants ; que
notre vaisseau se repose au rivage jusqu'au retour de la lumière. " Nous entrons
dans la baie de Duthona. Quelle ombre terrible se tient sur le rocher, en
s'appuyant sur un pin ? Son bouclier est un nuage ; derrière ce bouclier passe
la lune errante. L'ombre a pour lance une colonne de brouillard et un bleu
sombre, surmontée d'une étoile sanglante ; un météore lui sert d'épée ; les
vents, dans leurs jeux, élèvent la chevelure du fantôme comme une fumée ; deux
flammes qui sortent de deux cavernes creusées dans les nuages sont les yeux
menaçants de cet enfant de la nuit. Souvent Fingal a vu se manifester ainsi le
signe de la bataille ; mais qui pourrait y croire dans la patrie de Connar, ami
du peuple de Fingal ?

Le roi monte sur le rocher ; le glaive de Luno jette dans sa main des ondes de
lumières ; Carrill marche derrière le roi. Le fantôme aperçoit Fingal, et sur
l'aile d'un tourbillon s'envole ; le héros le poursuit du geste et de la voix.
Cette voix est entendue sur les collines de Duthona, qui s'agitent avec tous
leurs rochers et tous leurs arbres ; le peuple tressaille, se réveille en rêvant
le péril, et les feux d'alarme sont allumés de toutes parts.

" Levez-vous, dit le roi revenant parmi ses guerriers, levez-vous : que chacun
endosse son armure et place devant lui son bouclier. Il nous faut combattre. Nos
amis nous vont attaquer au milieu de la nuit : Fingal ne leur dira pas son nom,
car nos ennemis s'écrieraient ensuite : " Les guerriers de Morven furent
effrayés ! ils dirent leur nom pour éviter le combat ! " Que chacun endosse son
armure et place devant lui son bouclier ; mais que nos lances errent loin du
but, que nos flèches soient emportées par les vents. A la lumière du matin, nos
amis nous reconnaîtront, et la joie sera grande dans Duthona. "

Nous rencontrâmes la colonne mouvante et sombre des guerriers de Duthona. Comme
la grêle échappée des flancs de l'orage, leurs flèches tombent sur nos boucliers
; ils nous environnent comme un rocher entouré par les flots. Fingal vit que son
peuple allait périr ou qu'il il serait forcé de combattre : il descendit de la
colline ainsi qu'une ombre qui se plaît à rouler avec les tempêtes. La lune,
dans ce moment, leva sa tête au-dessus de la montagne et réfléchit sa lumière
sur l'épée de Luno ; l'épée étincelle dans la main du roi, comme un pilier de
glace pendant l'hiver, à la chute devenue muette du Lara. Duthona vit la flamme,
et n'en put supporter la splendeur ; ses guerriers se retirèrent comme les
ténèbres devant le jour ; ils s'enfoncèrent dans un bois.

Avançant à leur suite, nous nous arrêtâmes au bord d'un profond ruisseau qui
coulait devant nous à travers la bruyère. Son lit se creusait entre deux rivages
semés de fougères et ombragés de quelques bouleaux vieillis. Là, nous nous
entretînmes du récit des combats et des actions des premiers héros. Carrill
redit les faits du temps passé, Ossian célébra la gloire de Connar : sa harpe ne
put oublier la tendre beauté de Minla.

Les chants cessèrent, une brise murmura le long du ruisseau ; elle nous apporta
les soupirs de l'infortune : ils étaient doux comme la voix des ombres au milieu
d'un bois solitaire, quand elles passent sur la tombe des morts.

" Allez, Ossian, dit le roi ; quelque guerrier languit sur son bouclier ; qu'il
soit apporté à Fingal : s'il est blessé, qu'on applique les herbes de la
montagne sur sa plaie. Aucun nuage ne doit obscurcir notre joie dans la terre de
Duthona. "

Je marchai guidé par la chanson du malheur :

" Triste et abandonnée est ma demeure, disait la chanson ; aucune voix ne s'y
fait entendre, si ce n'est celle de la chouette. Nul barde ne charme la longueur
de mes nuits ; les ténèbres et la lumière sont égales pour moi. Le soleil ne
luit point dans ma caverne ; je ne vois point flotter la chevelure dorée du
matin, ni couler les flots de pourpre que verse l'astre du jour à son couchant.
Mes yeux ne suivent point la lune à travers les pâles nuages ; je ne vois point
ses rayons trembler à travers les arbres dans les ondes du ruisseau ; ils ne
visitent point la caverne de Connar.

" Ah ! que ne suis-je tombé dans la tempête de Dorla ! ma renommée ne se serait
pas évanouie comme le silencieux rayon de l'automne qui court sur les champs
jaunis, entre les ombres et les brouillards. Les enfants sous le chêne ont senti
un moment la chaleur du rayon, et l'ont bénie ; mais il passe : les enfants
poursuivent leurs jeux, et le rayon est oublié.

" Oubliez-moi aussi, enfants de mon peuple, si vous n'êtes pas tombés comme moi,
si Dorla, qui a envahi Duthona, n'a point soufflé sur vous dans votre jeunesse,
comme l'haleine d'une gelée tardive sur les bourgeons du printemps. Que n'ai-je
autrefois trouvé la mort à vos yeux, quand je marchai avec Fingal au-devant des
forces de Swaran ! Le roi eût élevé ma tombe ; Ossian eût chanté ma gloire ; les
bardes des futures années, en s'asseyant autour du foyer, eussent dit à
l'ouverture de la fête : " Ecoutez la chanson de Connar. "

" A présent, enchaîné dans cette caverne, je mourrai tout entier : ma tombe ne
sera point connue ; le voyageur écartera sous ses pas, avec la pointe de sa
lance, une herbe longue et flétrie ; il découvrira une pierre poudreuse : " Qui
dort dans cette étroite demeure ? " demandera-t-il à l'enfant de la vallée, et
l'enfant de la vallée lui répondra : " Son nom n'est point dans la chanson. "
Ton nom sera dans la chanson, m'écriai-je ; tu ne seras point oublié par Ossian.
Sors de la caverne où t'a caché la destinée, et viens lever encore la lance dans
la bataille. Viens, Fingal sera auprès de toi. il te vengera. Viens, les
oppresseurs de Duthona sécheront à ton aspect comme la fougère atteinte par la
bise : ton nom refleurira comme le chêne qui ombrage les salles de tes fêtes,
quand, après les rigueurs de l'hiver, il se rajeunit au printemps. "

Connar prit la voix d'Ossian pour celle d'une ombre : " Ta voix m'est agréable,
enfant de la nuit, dit-il, car les fantômes n'effrayent point mon âme ; ta voix
est douce à Connar abandonné. Converse avec moi dans la caverne ; notre
entretien sera de la tombe et de la demeure aérienne des héros. Nous ne
parlerons point de Duthona ; nous serons silencieux sur ma gloire, elle s'est
évanouie. Mes amis aussi sont loin : ils dorment sur leurs boucliers ; mon
souvenir ne trouble point leur repos. Ah ! qu'ils continuent de sommeiller en
paix !

Ombre amie, ma demeure sera bientôt avec la tienne. Nous visiterons ensemble les
enfants du malheur dans leur caverne ; nous leur ferons oublier leurs chagrins
dans les illusions des songes ; nous les conduirons en pensée dans les champs de
leur renommée : ils croiront briller dans les combats ; leur tunique d'esclave
s'allongera en robe ondoyante ; leurs prisons souterraines deviendront les
nobles salles de Fingal ; le murmure du vent sera pour eux et pour nous la
mélodie des harpes, le frissonnement des gazons deviendra le soupir des vierges.
Ombre amie, en attendant que je m'unisse à toi dans les nuages, descends souvent
à la caverne de Connar ! Fantôme de la nuit, ta voix est charmante à mon coeur !
"

Je me plonge dans la caverne de Connar ; je coupe les liens dont les guerriers
de Dorla avaient entouré les mains du chef : je conduis le roi délivré à Fingal
; leurs visages brillèrent de joie au milieu de leurs cheveux gris, car Fingal
et Connar se souviennent de leurs jeunes années, de ces premiers jours de la vie
où ils tendaient ensemble leurs arcs au bord du torrent. " Connar, dit Fingal,
qui a pu confiner l'ami de Morven dans la caverne ? Puissant devait être son
bras, inévitable son épée ! "

" Dorla, répondit Connar, apprit que la force de mon bras s'était évanouie dans
la vieillesse. Il attaqua mes salles pendant la nuit, lorsque j'étais seul avec
ma fille Niala, et que mes guerriers étaient absents. Je combattis : le nombre
prévalut. Dorla est resté dans Duthona, et mes peuples sont dispersés dans leurs
vallons ignorés. "

Fingal entendit les paroles de Connar ; il fronce le sourcil ; les rides de son
front sont comme les nuages qui couvent la tempête. Il agite dans sa main sa
lance mortelle et regarde l'épée de Luno.

" Il n'est pas temps de reposer, s'écrie-t-il, quand celui qui dépouilla mon ami
est si près. Les guerriers de Dorla sont nombreux ; ils nous ont attaqués cette
nuit, et nous avons cru, en les respectant, que c'étaient les bataillons de
Connar. Ossian et Gormalon, avancez le long du rivage. Dumolach et Leth, volez
aux salles de Connar, et si vous y trouvez Niala, étendez devant elle vos
boucliers protecteurs. Molo, observe l'ennemi, afin qu'il ne puisse livrer ses
voiles au vent sans combattre. Et toi, Carrill, où es-tu ? Barde aux douces
chansons, reste auprès du chef de Duthona avec ta harpe, sa mélodie est un rayon
de lumière qui se glisse au milieu de l'orage. "

Carrill vint avec sa harpe : les sons de cette harpe étaient légers comme le
mouvement des ombres glissant dans un air pur sur les rivages de Lara Coulez en
silence, ruisseaux de la nuit, que nous entendions la chanson du barde.

Au bord des torrents de Lara se penche un chêne qui laisse tomber de ses
feuilles, sur le courant d'eau, les pleurs de la rosée. Là, on voit errer deux
ombres lorsque le soleil illumine la plaine et que le silence est dans Morven :
l'une est ton ombre, vénérable Uval ; l'autre est celle de ta fille, la belle
chasseresse. Les jeunes guerriers de Lara poursuivaient les chevreuils ; ils
célébraient la fête dans la cabane lointaine du désert. Colgar les découvrit, et
parut subitement à Lara comme le torrent qui fond du haut d'une montagne, quand
l'ondée est encore sur les hauts sommets, et n'a point descendu dans la vallée.
- Fille d'Uval, dit Colgar, il te faut me suivre ; j'enchaînerai ici ton père
car il frapperait sur le bouclier, et les jeunes guerriers pourraient entendre
le son dans la solitude. "

" Colgar, je ne t'aime pas, dit la fille d'Uval ; laisse-moi avec mon père : ses
yeux sont tristes, ses cheveux blanchis. "

" Colgar est sourd à la prière ; la fille d'Uval est obligée de le suivre, mais
ses pas sont tardifs. Un chevreuil bondit auprès de Colgar ; ses flancs bruns se
montrent à travers les vertes bruyères - Colgar, dit la fille d'Uval, prête-moi
ton arc : j'ai appris à percer le chevreuil. Colgar crut la beauté déjà
consolée, et, plein d'amour, il donne son arc. La fille d'Uval tend la corde, la
flèche part, Colgar tombe. La fille d'Uval retourna à Lara : l'âme de son père
fut réjouie. Le soir de la vie d'Uval se prolongea ; il fut comme le coucher du
soleil sur la montagne des sources limpides ; les derniers jours d'Uval
tombèrent comme les feuilles d'automne dans la vallée silencieuse. Les années de
la fille d'Uval furent nombreuses ; quand elle s'éteignit, elle dormit en paix
avec son père. "

Ainsi chantait Carrill, et moi Ossian, je m'avançais avec Gormalon sur le
rivage, selon les ordres de Fingal. Au pied d'un rocher nous trouvons un jeune
homme : son bras, sortant d'une brillante armure, reposait sur une harpe brisée
; le bois d'une lance était à ses côtés. A travers les herbes chevelues du
rocher, la lune éclairait la tête du jeune homme : cette tête était penchée,
elle s'agitait lentement dans la douleur, comme la cime d'un pin qui se balance
aux soupirs du vent.

" Quel est celui, dit Gormalon, qui demeure ici solitaire ? Es-tu un des
compagnons de Dorla, ou l'un des guerriers de Connar ? "

" Je suis, répondit le jeune homme tremblant comme l'herbe dans le courant d'un
ruisseau, je suis un des bardes qui chantaient dans les salles de Connar. Dorla
écouta mes chansons, et épargna ma vie après avoir livré bataille sur les chants
de Duthona. "

" Souviens-toi de Dorla, si tu le veux répliqua Gormalon ; mais que peux-tu dire
à sa louange ? Il attaqua Connar lorsque les amis du roi étaient absents ; son
bras est faible dans le danger, fort quand personne ne le repousse. Dorla est un
nuage qui se montre seulement dans le calme, un brouillard qui ne se lève jamais
du marais que quand les vents de la vallée se sont retirés. Mais la tempête de
Fingal joindra ce nuage et le déchirera dans les airs. "

" Je me souviens de Fingal, dit le jeune homme : je le vis jadis dans les salles
de Duthona ; je me souviens de la voix d'Ossian et des fiers héros de Morven,
mais Morven est loin de Duthona. "

Les soupirs étouffèrent la voix du jeune homme : ses sanglots éclatèrent comme
la glace qui se fend sur le lac du Lego, ou comme les vents de la montagne dans
la grotte d'Arven.

" Faible est ton âme, dit Gormalon, indigné : non, tu n'es pas l'enfant des
salles de Connar ; tu n'es pas des bardes de la race du roi. Ceux-ci chantaient
les actions de la bataille ; la joie du danger enflait leurs âmes, de même que
s"enflent les voiles blanches de Fingal dans les tourbillons de la mer de
Morven. Tu es des amis de Dorla : va donc le rejoindre, enfant du faible, et
dis-lui que Morven le poursuit : jamais il ne reverra les collines de sa patrie.
"

" Gormalon, dis-je alors, n'outrage pas la jeunesse : l'âme du brave peut
quelquefois faillir, mais elle se relève. Le soleil sourit du haut de sa
carrière lorsque la tempête est passée ; le pin cesse alors de secouer dans les
airs sa pyramide de verdure, la mer calme sa surface azurée, et les vallées se
réjouissent aux rayons de l'astre éclatant. "

Je pris le jeune homme par la main, et le conduisis vers Carrill, roi des
chansons. La lumière commençait alors à briller sur l'armée de Dorla ; ses
guerriers, pâles et muets, regardaient la lance de Morven et l'épée de Connar ;
ils demeuraient immobiles : lorsque le chasseur est surpris par la nuit sur la
colline de Cromla, la terreur des fantômes l'environne ; une sueur froide perce
son front, ses pas tremblants se refusent à sa fuite ; ses genoux fléchissent au
milieu de sa course.

Dorla vit les yeux égarés de son peuple ; une grosse larme roule dans les siens.
" Pourquoi, dit-il à ses guerriers, demeurez-vous dans ce silence, comme les
arbres qui s'élèvent autour de nous ? Votre nombre ne surpasse-t-il pas celui
des fils de Morven ? Ils peuvent avoir leur renommée, mais n'avons-nous pas
aussi combattu avec les héros ? Si vous songez à la fuite, où est le chemin de
nos vaisseaux, si ce n'est à travers l'ennemi ? Fondons sur eux dans notre
colère ; que nos bras soient courageux, et la joie de mes amis sera grande quand
nous retournerons chez nos pères. "

Connar, au milieu des héros de Morven, frappa sur le bouclier de Duthona. Ses
guerriers, dispersés, entendirent le signal du roi ; ils levèrent la tête dans
leurs vallons ignorés, comme les ruisseaux de Selma : dans les jours de
sécheresse, ces ruisseaux se cachent sous les cailloux de leur lit ; mais quand
les tièdes ondées descendent, ils sortent tout à coup de leur retraite,
rugissent, inondent et surmontent de leurs eaux les collines.

On combat : Dorla est abattu par la lance de Connar. Fingal le vit tomber ; il
s'avance alors dans sa clémence, et parle aux guerriers de Dorla, qui n'est
plus.

" Fingal, leur dit-il, ne se plaît point dans la chute de ses ennemis,
quoiqu'ils l'aient forcé de tirer l'épée. Ne venez jamais à Morven, ne vous
présentez plus aux rivages de Duthona. Rapide est le jour du peuple qui ose
lever la lance contre Fingal ; une colonne de fumée chassée par la tempête est
la vie de ceux qui combattent contre les héros de Morven. Retirez-vous :
emportez le corps de Dorla.

" Pourquoi es-tu si matinale, épouse de Dorla ? continua Fingal. Que fais-tu,
immobile sur le rocher ? Tes cheveux sont trempés de la rosée du matin ; tes
regards sont errants sur les vagues lointaines : ce que tu vois n'est pas
l'écume du vaisseau de Dorla, c'est la mer qui se brise autour du flanc des
baleines. Les deux enfants de l'épouse de Dorla sont assis sur les genoux de
leur mère ; ils voient une larme descendre le long de la joue de la femme ; ils
lèvent leur petite main pour saisir la perle brillante. " Mère, diront-ils,
pourquoi pleures-tu ? Où notre père a-t-il dormi cette nuit ? "

" Ainsi, peut-être, ô Ossian ! ton Everalline est maintenant inquiète pour toi.
Elle conduit peut-être ton Oscar au sommet de Morven, afin de découvrir la
pleine mer. Ossian, souviens-toi d'Oscar et d'Everalline ; ô mon fils ! épargne
le guerrier qui, comme Dorla, peut laisser derrière lui une épouse dans les
larmes. Hélas ! Dorla, pourquoi es-tu déjà tombé ? "

Ainsi me parlait Fingal, aux jours du passé, dans la terre de Duthona ; ainsi,
pour m'enseigner la pitié, il mettait devant mes yeux l'image d'Everalline mon
épouse, d'Oscar mon jeune fils. Everalline ! Oscar ! rayons de joie maintenant
éteints ! comment m'avez-vous précédé dans l'étroite demeure ? Comment Ossian
peut-il faire retentir la harpe et chanter encore les guerriers, lorsque votre
souvenir, comme l'étoile qui tombe du ciel, traverse tout à coup son âme ? Oh !
que ne suis-je le compagnon de votre course azurée, brillants voyageurs des
nuages ! Quand nos ombres se rejoindront-elles dans les airs ? Quand glisseront-
elles avec les brises sur la cime ondoyante des pins ? Quand élèverons-nous nos
têtes ornées d'une chevelure brillante, comme les astres de la nuit dans le
désert ? Puisse ce moment bientôt arriver ! Ce qu'est le lit de bruyère au
chasseur fatigué sera la tombe au barde appesanti par les ans : je dormirai ! la
pierre de ma dernière couche gardera ma mémoire.

Mais, ô pierre du tombeau ! la saison de ta vieillesse arrivera aussi ; tu
t'enfonceras toi-même dans le lieu où les guerriers reposent pour jamais.
L'étranger demandera où était ta place ; les fils du faible ne la connaîtront
point.

Peut-être la chanson aura gardé le souvenir de cette pierre. La chanson se
perdra à son tour dans la nuit des temps ; le brouillard des années enveloppera
sa lumière. Notre mémoire passera comme l'histoire de Duthona, qui déjà
s'éclipse dans l'âme d'Ossian.

Le peuple de Dorla fend la mer en silence ; les sons d'aucune chanson ne roulent
devant lui sur les flots ; les bardes penchent la tête sur leur harpe, et leurs
cheveux argentés errent avec leurs armes le long des cordes humides. Les marins
sont enfoncés dans leurs sombres pensées ; le rameur distrait suspend soudain la
rame qu'il allait plonger dans les flots.

Nous montâmes au palais de Connar ; mais le chef est triste malgré sa victoire :
son sein oppressé soulève son armure comme la vague qui renferme la tempête ;
son oeil éteint ne lance plus son regard brillant à travers la salle des fêtes.
Personne n'ose demander au héros pourquoi il est triste, car absente est
l'étoile de la nuit, la fille de Connar, la charmante Niala. Fingal voyait la
douleur du chef, et cachait la sienne sous le panache de son casque. " Carrill,
dit-il à voix basse, qu'as-tu fait de tes chants ? viens avec ta harpe soulager
l'âme du roi. "

Carrill s'avance au milieu des salles de la fête, appuyé d'une main sur son
bâton blanc, de l'autre portant sa harpe ; derrière lui marche le jeune barde de
Duthona qu'Ossian et Gormalon avaient trouvé sur le rivage pendant la nuit. Tout
à coup son armure tombe à terre ; il lève une main pour cacher son trouble.
Quelle est cette main si blanche ? Ce visage sourit si gracieusement à travers
les boucles de ses beaux cheveux ! " Niala ! s'écria Connar, est-ce toi ? " Elle
jette ses bras charmants autour de son père ; la joie revient au banquet des
guerriers. Connar donna la beauté à Gormalon, et nous déployâmes nos voiles et
nos chants pour Morven. Ossian est seul aujourd'hui dans les ruines des tours de
Fingal, et l'épouse de mon Oscar, Malvina, la douce Malvina, ne sourira plus à
son père.

Vallée de Cona, les sons de la harpe ne se font plus entendre le long de tes
ruisseaux, dont la voix s'élève à peine sur les collines silencieuses. La biche
dort sans frayeur dans la hutte abandonnée du chasseur ; le faon bondit sur la
tombe guerrière, dont il creuse la mousse avec ses pieds. Je suis resté seul de
ma race : je n'ai plus qu'un jour à passer dans un monde qui ne me connaît plus.
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François-René Chateaubriand (1768-1848) Duthona
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