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 François-René Chateaubriand (1768-1848) Préface

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François-René Chateaubriand (1768-1848) Préface Empty
MessageSujet: François-René Chateaubriand (1768-1848) Préface   François-René Chateaubriand (1768-1848) Préface Icon_minitimeJeu 31 Mai - 22:59

Préface
Dans l'Avertissement placé à la tête du premier volume des Oeuvres complètes
(édition de 1829), j'ai dit : " J'ai longtemps fait des vers avant de descendre
à la prose. Ce n'était qu'avec regret que M. de Fontanes m'avait vu renoncer aux
Muses : moi-même je ne les ai quittées que pour exprimer plus rapidement des
vérités que je croyais utiles. "

Dans la Préface des ouvrages politiques, j'ai dit : " Les Muses furent l'objet
du culte de ma jeunesse ; ensuite je continuai d'écrire en prose avec un
penchant égal sur des sujets d'imagination, d'histoire, de politique et même de
finances. Mon premier ouvrage, l' Essai historique , est un long traité
d'histoire et de politique. Dans le Génie du Christianisme , la politique se
retrouve partout, et je n'ai pu me défendre de l'introduire jusque dans l'
Itinéraire et dans les Martyrs . Mais par l'impossibilité où sont les hommes
d'accorder deux aptitudes à un même esprit, on ne voulut sortir pour moi du
préjugé commun qu'à l'apparition de la Monarchie selon la Charte . "
Nous avez fait beaucoup de vers, me dira-t-on : soit ; mais sont-ils bons ?
Voilà toute la question pour le public.

Je sais fort bien que ce n'est pas à moi, mais au public à trancher cette
question. Je ne pourrais appuyer mes espérances que sur une autorité grave à la
vérité, mais peut-être fascinée par les illusions de l'amitié Je vais présenter
quelques observations dont je ne prétends faire aucune application à ma personne
: je le dis avec sincérité, et j'espère qu'on le croira.
Les grands poètes ont été souvent de grands écrivains en prose ; qui peut le
plus peut le moins : mais les bons écrivains en prose ont été presque toujours
de méchants poètes. La difficulté est de déterminer, lorsqu'on écrit aussi
facilement en prose qu'en vers, et en vers qu'en prose, si la nature vous avait
fait poète d'abord et prosateur ensuite, ou prosateur en premier lieu et poète
après.

Si vous avez écrit plus de vers que de prose, ou plus de prose que de vers, on
vous range dans la catégorie des écrivains en vers ou en prose, d'après le
nombre et le succès de vos ouvrages.

Si l'un des deux talents domine chez vous, vous êtes vite classé.
Si les deux talents sont à peu près sur la même ligne, à l'instant on vous en
refuse un, par cette impossibilité où sont les hommes d'accorder deux aptitudes
à un même esprit, comme je l'ai déjà remarqué. On vous loue même excessivement
de ce que vous avez pour déprécier ce que vous avez encore, mais ce qu'on ne
veut pas reconnaître ; on vous élève aux nues pour vous rabaisser au-dessous de
tout. L'envie est fort embarrassée, car elle se voit obligée d'accroître votre
gloire pour la détruire, et si le résultat lui fait plaisir, le moyen lui fait
peine.

Répétez, par exemple, jusqu'à satiété que presque tous les grands talents
politiques et militaires de la Grèce, de l'Italie ancienne, de l'Italie moderne,
de l'Allemagne, de l'Angleterre, ont été aussi de grands talents littéraires,
vous ne parviendrez jamais à convaincre de cette vérité de fait la partie
médiocre et envieuse de notre société. Ce préjugé barbare qui sépare les talents
n'existe qu'en France, où l'amour-propre est inquiet, où chacun croit perdre ce
que son voisin possède, où enfin on avait divisé les facultés de l'esprit comme
les classes des citoyens. Nous avions nos trois ordres intellectuels, le génie
politique, le génie militaire, le génie littéraire, comme nous avions nos trois
ordres politiques, le clergé, la noblesse et le tiers-état ; mais dans la
constitution des trois ordres intellectuels, il était de principe qu'ils ne
pouvaient jamais se trouver réunis dans la même chambre, c'est-à-dire dans la
même tête.

Le gouvernement public dont nous jouissons maintenant fera disparaître peu à peu
ces notions dignes des Velches. Il était tout simple que dans une monarchie
militaire, où l'on n'avait besoin ni de l'étude politique, ni de l'éloquence de
la tribune, les lettres parussent un amusement de cabinet ou une occupation de
collège. Force sera aujourd'hui de reconnaître que le consul Cicéron était non
seulement un grand orateur, mais encore un grand écrivain, comme César était un
grand historien et un grand poète.

De ces considérations (que, pour le dire encore une fois, je présente dans un
intérêt général, nullement dans celui de ma vanité), je passe à l' historique de
mes poésies.

Si j'avais voulu tout imprimer, le public n'en aurait pas été quitte à moins de
deux ou trois gros volumes. Je faisais des vers au collège, et j'ai continué
d'en faire jusqu'à ce jour : je me suis gardé de les montrer aux gens . Les
Muses ont été pour moi des divinités de famille, des Lares que je n'adorais qu'à
mes foyers.

Les poésies, en très petit nombre, que je me suis déterminé à conserver sont
divisées en deux classes, savoir : les poésies échappées à ma première jeunesse,
et celles que j'ai composées aux différentes époques de ma vie. J'en ai marqué
les dates autant que possible, afin qu'on put suivre dans mes vers, comme on a
suivi dans ma prose, l'ordre chronologique des idées et le développement graduel
de l'art.

Tous mes premiers vers, sans exception, sont inspirés par l'amour des champs ;
ils forment une suite de petites idylles sans moutons , et où l'on trouve à
peine un berger . J'ai compris les vers de 1784 à 1790 sous ce titre : Tableaux
de la Nature . Je n'ai rien ou presque rien changé à ces vers : composés à une
époque où Dorat avait gâté le goût des jeunes poète, ils n'ont rien de maniéré,
quoique la langue y soit quelquefois fortement invertie ; ils sont d'ailleurs
coupés avec une liberté de césure que l'on ne se permettait guère alors. Les
rimes sont soignées, les mètres variés, quoique disposés à se former en dix
syllabes. On retrouve dans ces essais de ma Muse des descriptions que j'ai
transportées depuis dans ma prose.

C'est dans ces idylles d'une espèce nouvelle que le lecteur rencontrera les
premières lignes qui aient jamais été imprimées de moi. Le neuvième tableau fut
inséré dans l' Almanach des Muses de 1790 ; il y figure à la page 205 sous ce
titre, que je lui ai conservé : l' Amour de la campagne , par le chevalier de
C***. On en parla dans la société de Ginguené, de Lebrun, de Chamfort, de Parny,
de Flins, de La Harpe et de Fontanes, avec lesquels j'avais des liaisons plus ou
moins étroites. Je prenais mal mon temps pour faire ma veille des armes dans l'
Almanach des Muses ; on était déjà en pleine révolution, et ce n'était plus avec
des quatrains qu'on pouvait aller à la renommée.

Voici ce que je lis dans les Mémoires inédits de ma vie, au sujet de mon début
dans la carrière littéraire. Après avoir fait le tableau des diverses sociétés
de Paris à cette époque et le portrait des principaux acteurs, je dis :
" On me demandera : Et l'histoire de votre présentation, que devint-elle ? -
Elle resta là. - Vous ne chassâtes donc plus avec le roi après avoir monté dans
les carrosses ? - Pas plus qu'avec l'empereur de la Chine. - Vous ne retournâtes
donc plus à la cour ? - J'allai deux fois jusqu'à Sèvres, et revins à Paris. -
Vous ne tirâtes donc aucun parti de votre position et de celle de votre frère ?
- Aucun. - Que faisiez-vous donc ? - Je m'ennuyais. - Ainsi vous ne vous sentiez
aucune ambition ? - Si fait : à force d'intrigues et de soucis, je parvins, par
la protection de Delisle de Sales, à la gloire de faire insérer dans l' Almanach
des Muses une idylle (l' Amour de la campagne ) dont l'apparition me pensa faire
mourir de crainte et d'espérance. "

Au retour de l'émigration, mon ami M. de Fontanes, qui connaissait mes secrets
poétiques, m'engagea à laisser insérer dans le Mercure les vers intitulés la
Forêt . Tandis que j'étais à Londres, M. Peltier avait publié dans son journal
mon imitation de l'élégie de Gray sur un Cimetière de campagne. Cette imitation
a été réimprimée, en 1828, dans les Annales romantiques . Les autres pièces ont
été publiées pour la première fois, en 1828, dans l'édition de mes Oeuvres
complètes.
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