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 Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) LE MARTYROLOGE. (Le Matin, 5 mars 1914)

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James
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James


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Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) LE MARTYROLOGE. (Le Matin, 5 mars 1914) Empty
MessageSujet: Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) LE MARTYROLOGE. (Le Matin, 5 mars 1914)   Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) LE MARTYROLOGE. (Le Matin, 5 mars 1914) Icon_minitimeVen 22 Juin - 17:42

LE MARTYROLOGE. (Le Matin, 5 mars 1914)

Je veux consigner quelquefois, ici, des traits de l'héroïsme féminin. Héroïsme
auquel il ne manque que d'être méritoire, et que je vous autorise à nommer,
aussi, endurance, sadisme, humilité, -tous mots polis pour n'en pas dire un
autre, auquel je pense. Sous leur sèche forme de fiches, on trouvera, je
l'espère, plus saisissants ces traits d'élégant fanatisme.

Madame A... -Trente ans, beau sujet sain. Est allée du pont de la Concorde au
Louvre, à pied, vêtue d'une robe de velours sur laquelle elle avait jeté un
manteau de fourrure, doublé de panne de soie. Dès la mise en mouvement du sujet,
le velours de la jupe entre en frottement obstiné avec la panne qui double le
manteau... Quarante minutes après, arrivée du sujet à la hauteur du pavillon de
Rohan. Épuisement, genoux et chevilles courbaturées, halètement spasmodique,
manteau et jupe étroitement collés, enroulés en spirale et remontés vers la
région lombaire, yeux sortis de la tête ; phénomènes nerveux inquiétants.

Madame B... -Âge : trente-sept ans. Sujet débilité, mais nerveux et plus
résistant qu'on ne le supposerait au premier abord. A supporté, de midi et demi
à huit heures moins le quart, un chapeau du genre oeillère, cachant complètement
l'oeil et le profil droits. Pas d'autres accidents qu'une giration
caractéristique de la tête, des manifestations de demi-cécité (heurt violent
d'un meuble, rencontre d'un cheval de fiacre, renversement d'un plateau chargé
de pâtisseries, etc.) Vers 7 h 35, le sujet donne des signes de fatigue :
bâillements répétés, céphalalgie, vertiges, nausées. La disparition des malaises
coïncide avec l'abandon du chapeau-oeillère.

Mademoiselle C... -Âge : vingt-cinq ans. Sujet turbulent ; tempérament sportif
et collectionneur. Affirme son goût pour la marche à pied ; rassemble chez elle
les exemplaires les plus variés de chaussures à la mode, à l'aide desquelles
elle prétend marcher. Une rapide enquête au domicile personnel du sujet nous a
permis de constater que ses chaussures sont armées, les unes (spéciales pour le
footing) de talons de huit centimètres ; les autres (pour l'après-midi et le
soir) de neuf à douze centimètres. Le sujet se plaint de douleurs dans les
pieds, les genoux, le ventre et les reins. Pressée de nous montrer ses pieds, le
sujet a opposé une résistance désespérée, a prononcé des mots sans suite comme :
« oignons... perdrix... incarné... ». Fièvre quotidienne ; varices.

Madame D... -Âge probable : cinquante ans. Couperose de la face. Essoufflement.
Dégénérescence graisseuse du coeur. Constipation opiniâtre, cystite.
Commencement de délire mystique, prétend supprimer, pendant dix-huit heures sur
vingt-quatre, les fonctions humiliantes du corps, et se sangle dans une gaine de
tissu étroitement lacé, qui emprisonne le bassin, les cuisses et les genoux,
dépourvue de toute ouverture hygiénique, et qu'elle nomme « le corset Intangible
».

Madame E... -Âge : trente ans environ. Anémique. Chevelure blonde abondante,
qu'elle porte bouclée et ondulée avec soin. Le sujet est enclin à des
mortifications discrètes et se prive volontairement de contempler les beautés de
ce monde périssable. A passé les mois de juillet et d'août en villégiature au
bord de la mer, en refusant obstinément de sortir et de se promener sur la
plage. Donnait pour motif à sa claustration que « l'humidité saline défrise les
cheveux et efface les ondulations ».

Mesdemoiselles F... et G... -Âges : respectivement vingt-cinq et vingt-huit ans.
Nerveuses, agitées ; genre omniscient et pionnier. Dispositions pour
l'apostolat, qui fleurissent spontanément en axiomes fanatiques. Exemple : « Il
ne fait jamais froid quand on a une chemisette de tulle, vraiment chic, à
montrer! » Autre exemple : « Je n'ai jamais si chaud que quand je suis
décolletée! » Troisième exemple : « J'aime mieux claquer que de mettre un
dessous de blouse en jersey! »

Manie exploratrice, besoin de s'immoler devant les foules. Les deux sujets ont
entrepris récemment de se rendre à Moscou, en hiver, en n'emportant, pour se
préserver du froid, que des manteaux de fourrure « bien parisiens » (fourreau
d'hermine largement ouvert en pointe devant et derrière, à manches pingouin ;
grand manteau de zibeline sans col ni manches, celles-ci remplacées par deux
fentes où passent les bras nus. Ces deux manteaux offrent en bas, devant, un
identique hiatus, que les deux sujets n'hésitent pas à qualifier d'« allural »).

Dès leur arrivée à Moscou, les deux sujets annoncèrent l'intention de se rendre
au théâtre. La traversée du hall de l'hôtel fut extrêmement émouvante, les deux
sujets avançant, sereines, intrépides, au milieu d'un groupe d'amis et
d'indifférents qui les suppliaient de remonter à leur chambre et de « bien se
couvrir ». Un froid de 24° au-dessous de zéro les cueillit toutes deux dès le
perron, et leur surprise ne fut certes égalée en intensité que par la pneumonie
qui la suivit.

Nous arrivons maintenant au cas de Madame H..., rigoureusement authentique,
comme ceux qui sont cités plus haut.

Madame H... -Âge probable : trente-cinq ans ; brune, autoritaire, genre
omniscient et têtu. Suivant deux ou trois régimes simultanés : l'un pour
maigrir, l'autre pour combattre l'entérite, le troisième pour s'éclaircir le
teint. Remplaça un jour sa pilule amaigrissante par une leçon de tango,
recommença le lendemain. Prit un goût vif et assidu pour cette gymnastique
rythmique, s'en amusa sans songer à mal. Dansa le tango après midi, le soir,
voire après minuit. Rien à noter pendant deux mois et demi.

Après ce laps, le sujet se plaignit de douleurs dans la partie inférieure du
ventre et dans les reins. Le visage se creusa, le teint jaunit. Le thermomètre
accusa de la température quotidienne. Le tango persista, les douleurs aussi. Le
sujet cacha son mal, jusqu'au moment où il lui fallut s'aliter et mander le
médecin.

Le médecin constata une inflammation grave, et procéda à un interrogatoire
minutieux du sujet, qui finit par confesser qu'elle avait depuis deux mois et
demi, et sans presque s'en rendre compte, dansé le tango pendant sept, huit et
parfois même onze heures par jour, toujours chaussée de souliers assez étroits à
talons hauts. Péritonite. Intervention chirurgicale, suivie de mort.







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