14 JUILLET. (Le Matin, 16 juillet 1914)
Un épervier, tout en or dans le soleil, plane, largement appuyé sur le vent. Il
n'y a pas dans le paysage d'autre créature animée que lui, un peu plus mobile
qu'un astre, un peu moins rapide que le nuage. La journée s'avance et voici
l'heure où la mer va rendre au ciel tout le bleu opulent qu'elle détenait et
devenir, sous le soleil qui penche, d'argent neuf, puis rose... Cela, qui claque
au vent sur le rostre d'un rocher, est-ce encore un drapeau? Non, un baudrier de
Neptune seulement -je respire... C'est que j'ai vu aujourd'hui tant
d'oriflammes, tant de banderoles, tant de robes blanches froissées et maculées
de sueur, tant de guinguettes en feuillages flétris, tant de blouses saoules et
de tabliers titubants... Chaque village est une buvette en plein vent, hostile
au touriste et à la corne qui l'annonce. À côté de la buvette, un tir ; à côté
du tir, un manège de cochons ou de lapins. Au kilomètre suivant ça recommence,
parmi l'odeur aigre et fraîche du cidre renversé sur le sable, la fumée des
pétards et la grasse senteur, de beurre fort, d'étable et de toile neuve, qui se
dégage d'une foule exclusivement rurale...
Il semble qu'en ce jour tout plaisir -car il n'est guère de buisson qui n'abrite
un couple -soit permis, sauf celui d'être seul. La moindre anse porte en papiers
tachés, en coquilles d'oeufs, les traces des pique-niques ; un pré sec et
sableux du bord de la mer se fleurit soudain de frivoles coiffes cancalaises, et
jusque dans le fond de ce golfe, jusqu'au faîte de ses rochers, j'ai craint le
battement d'une aile tricolore, le nasillement des orgues mécaniques...
Mais non. Cette fois nous sommes hors d'atteinte. La marée descendante aspire, à
chaque reflux, un sable vierge d'empreintes, et vide lentement les retraites du
crabe et du homard bleu. L'épervier d'or ne décline pas encore, et la jumelle
marine me rend distincts, tentants et inaccessibles, ses pennes rebroussées, son
bec poli et son bel oeil brûlant qui ne regarde pas la terre.