PLUME DE POÉSIES
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 Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954)MA FILLEULE. (Le Matin, 18 janvier 1912)

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James
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James


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Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954)MA FILLEULE. (Le Matin, 18 janvier 1912) Empty
MessageSujet: Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954)MA FILLEULE. (Le Matin, 18 janvier 1912)   Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954)MA FILLEULE. (Le Matin, 18 janvier 1912) Icon_minitimeVen 22 Juin - 18:15







MA FILLEULE. (Le Matin, 18 janvier 1912)

-C'est toi qui m'appelles, marraine? Je suis là sous l'escalier.

-...?

-Non, marraine, je ne boude pas.

-...?

-Non, marraine, je ne pleure pas en ce moment-ci. J'ai fini. Mais je suis bien
découragée.

-...?

-Oh! c'est toujours la même chose, pour changer. Je suis fâchée avec maman. Elle
aussi, elle est fâchée avec moi.

-...!

-Comment, « naturellement »? Mais non, pas « naturellement » du tout! Y a des
fois qu'elle est fâchée après moi sans que je lui rende, -ça dépend si elle est
juste.

-...!

-Oh! je t'en prie, marraine, pas aujourd'hui! Tu viendras me dire ça un autre
jour. Il ne manque pas de jours où je suis bien lunée, et où on peut me rabattre
les oreilles...

-...

-Non, pas rebattre, rabattre! Quand tu grondes le chien, qu'est-ce qu'il fait?
il couche les oreilles. Moi aussi, je couche les oreilles depuis le déjeuner.
Alors, je recommence ; tu peux me rabattre les oreilles avec les parents, et la
justice des parents, et qu'un enfant ne doit pas juger ses parents, et ci, et
ça... Aujourd'hui, ça ne prend pas.

-...?

-Ce que j'ai? J'ai que maman me décourage. Viens, que je te raconte. C'est
encore à toi que je raconte le plus, parce que tu n'as pas d'enfant. Tu me
comprends mieux.

-...!

-Si, c'est logique. Tu n'as pas d'enfant, tu as encore une maman, tu te fais
gronder, tu pestes, tu rages, et puis tu as la réputation de ne pas être
raisonnable : maman hausse les épaules en parlant de toi, comme pour moi... Ça
me fait plaisir. Ça me donne confiance.

-...

-Il n'y a pas de quoi, je ne le fais pas exprès... Viens, on va se mettre près
du feu : j'en avais assez, de ce dessous d'escalier, tu sais! Donc, voilà. Maman
me décourage. Je ne peux pas arriver à lui faire comprendre certaines choses.

-...?

-Des choses sérieuses, des choses de la vie. Figure-toi qu'elle vient de
m'acheter un chapeau pour aller à l'école!... Ah! oui, c'est vrai, tu ne sais
pas, tu n'es pas du pays... À Montigny, les élèves de la laïque ne mettent
jamais de chapeau, sauf l'été pour le soleil, et même, je te confie ça sous le
son du secret...

-...!

-Le son, je te dis! La preuve, c'est que ça signifie qu'on parle à voix basse,
ah!... Eh bien, je te confie sous le son du secret que nous faisons « hou! hou!
» dans la rue aux élèves des soeurs, parce qu'elles ne vont pas à l'école nu-
tête. Ne le répète pas?

-...!

-Bon. Voilà donc que maman m'achète un chapeau. Je lui fais une tête à ce
chapeau! Naturellement, maman commence un discours de deux heures, qui n'avait
aucun rapport avec la question : et que j'ai dix ans passés, et que je suis
presque une jeune fille, et que je dois donner l'exemple d'une tenue
irréprochable... Enfin, elle me faisait de la peine. J'ai perdu patience, je lui
ai répondu que ça ne la regardait pas, que ma vie à l'école, c'était une vie
spéciale où les parents n'entendaient rien, eccetera... « Enfin, maman, que je
lui disais, est-ce que vous vous mêlez de dire à papa ce qu'il doit faire à son
bureau? Moi, à l'école, c'est la même chose. J'ai une situation très remarquée à
l'école, une situation très délicate, à cause que j'ai une personnalité, comme
dit Mademoiselle. À vous entendre, maman, je ne devrais m'occuper que de ma
famille! Vous m'envoyez à l'école, j'y passe une moitié de ma vie : eh bien, ça
compte, une moitié de la vie... L'école, c'est comme un autre monde, on n'y
parle pas pareil : ce qui est convenable ici ne l'est pas à l'école, et si je
vous dis que je ne dois pas aller en classe, l'hiver, avec un chapeau, c'est que
je ne dois pas porter de chapeau! Enfin, maman, ce sont des choses qui se
sentent, ce sont des nuances! » Je lui ai défilé ça très posément, tout d'un
trait, pour qu'elle n'ait pas le temps de placer un mot, parce que tu sais comme
sont les mamans, n'est-ce pas? elles s'emballent, elles s'emballent, et puis
elles n'ont pas de proportion.

-...?

-Je veux dire qu'elles mettent tout à feu et à sang, autant pour un verre cassé
que pour quelque chose de très, très mal. La mienne surtout. Elle est
impressionnable. Après, elle me regardait comme si je tombais de la lune, et
elle disait tout bas : « Mon Dieu! cette enfant... cette enfant... » Elle avait
l'air si malheureux et si étonné, on aurait dit que c'était moi qui l'avais
grondée. Tellement que je l'ai attrapée comme ça par le cou et que je l'ai
bercée contre moi comme ça, en lui faisant : « Là... là... ma petite chérie,
là!... » Ça a très bien fini.

-...?

-Mais si! nous sommes fâchées, mais pour un autre motif. L'histoire du chapeau,
c'est d'hier. Aujourd'hui... tiens, regarde mon doigt.

-...!

-Oui, une coupure, une grande, et l'ongle est fendu. Il a de l'eau oxygénée et
du je ne sais plus quoi dessus. Et là, sur ma joue, tu vois une brûlure rouge ;
ça me cuit. Et mes cheveux, tu ne vois pas, sur le front? Sens-les : ils doivent
sentir encore un peu comme quand on flambe le cochon sur la place. Tout ça,
c'est des malheurs d'aujourd'hui, qui nous ont fâchées ensemble, nous deux
maman... J'avais envie d'une frange frisée sur le front ; alors, alors j'ai
coupé quelques mèches -la belle affaire! Je sais bien qu'avec des ciseaux on va
toujours plus loin qu'on ne veut... Et je me suis brûlé la joue en voulant faire
tourner le fer pour le refroidir, tu sais, comme le coiffeur : ça fait si
joli...

-...?

-La coupure, c'est les ciseaux. Un peu plus, je me crevais un oeil... Alors, tu
me vois, s'pas, ma main pleine de sang, mes cheveux roussis et coupés en
escalier, ma joue brûlée... Et, naturellement, c'est juste l'instant que maman
rentre! Qu'est-ce que j'ai pris, ma chère!

-...!

-Oui, j'étais dans mon tort, mais elle m'a grondée d'une façon qui sortait de
l'ordinaire. Je t'assure qu'il n'était plus question de convenances, ni de la
tenue, ni des enfants qui touchent à tout et qui en sont punis! Il n'était pas
même question de moi, ou si peu!

-...?

-Attends, je vais me rappeler... Elle était comme une furie. Elle disait que je
lui avais abîmé sa fille! Elle disait : « Qu'as-tu fait de mes beaux cheveux que
je cultive si patiemment? Tu n'avais pas le droit d'y toucher! Et cette joue-là,
qui t'a permis de l'abîmer? Et cette petite main?... Comment?... J'aurai mis des
années, j'aurai passé mes jours et mes nuits à trembler au-dessus de ce chef-
d'oeuvre et il suffira d'un de tes gestes, petit démon dévastateur, pour
compromettre le résultat adorable de tant de peines! C'est lâche, c'est indigne,
ce que tu as fait là! Ta beauté est à moi, tu n'as pas le droit de diminuer un
dépôt que je te confie! » Qu'est-ce que tu dis de ça, marraine?

-...

-Moi non plus, je n'ai rien trouvé à répondre. Mais ça m'a retournée. Je suis
allée sous l'escalier sans souffler un mot. Et je me suis fait de la peine tant
que j'ai pu. Je me tâtais les mains, les jambes, la tête : « Pauv' petit coco,
que je me disais, tes mains, tes jambes, ta tête ne sont même pas à toi! T'es
comme une esclave, alors!... Te voilà bien avancée que ta mère t'aye donné le
jour, puisqu'elle t'a repris tout le reste! Tu n'oserais plus seulement perdre
une dent de lait ni te casser un ongle, crainte que ta mère te le réclame... »
Enfin, tu sais, comme on se parle quand on a envie de se faire pleurer... Ah!
j'ai une mère qui me donne bien du tourment, marraine!

-...

-Tu crois que je lui rends bien! C'est possible. Alors, si elle est gentille
avec moi, à table, je peux lui pardonner aussi?

-...

-Je veux bien. C'est vrai qu'elle m'a traitée de démon dévastateur, mais...

-...?

-Mais elle m'a aussi appelée « résultat adorable » et ça fait tout de même
plaisir.

_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James
Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954)MA FILLEULE. (Le Matin, 18 janvier 1912) Une_pa12Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954)MA FILLEULE. (Le Matin, 18 janvier 1912) Plumes19Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954)MA FILLEULE. (Le Matin, 18 janvier 1912) Miniat14Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954)MA FILLEULE. (Le Matin, 18 janvier 1912) James_12Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954)MA FILLEULE. (Le Matin, 18 janvier 1912) Confes12

Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954)MA FILLEULE. (Le Matin, 18 janvier 1912) Sceau110
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