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 Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) UNE INTERVIEW. (Le Matin, 25 juin 1914)

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James
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James


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Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) UNE INTERVIEW. (Le Matin, 25 juin 1914) Empty
MessageSujet: Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) UNE INTERVIEW. (Le Matin, 25 juin 1914)   Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) UNE INTERVIEW. (Le Matin, 25 juin 1914) Icon_minitimeVen 22 Juin - 18:21

UNE INTERVIEW. (Le Matin, 25 juin 1914)

-Eh oui, chère madame, c'est moi! Maudissez le destin, c'est encore moi! Vous
n'avez pas oublié notre dernière entrevue? M'avez-vous maltraité! Je vous revois
encore, à l'issue de votre causerie, dans ces extraordinaires coulisses de
l'Université populaire... « Qu'est-ce qu'il vient faire ici, celui-là? » avez-
vous maugréé entre vos dents... Si, si, ne niez pas, j'ai parfaitement entendu!
Le fait est que ma tenue de soirée détonnait singulièrement dans ce milieu
ouvrier...

-...

-Vous avez raison, ce n'est pas un milieu ouvrier, c'est un milieu... soufflez-
moi l'expression... populaire! Voilà : un milieu populaire! Et maintenant,
parlons sérieusement. Cette fois-ci, je prends le siège que vous ne m'offrez
pas, et je m'installe -que dis-je? je m'incruste! Notre vieille camaraderie me
crée des droits, et personne n'aura, avant moi, le bon petit « papier » sur
votre nouveau livre... Je voudrais, comprenez-moi, quelque chose qui nous sorte
un peu de l'éternel : « Nous avons trouvé l'original artiste à sa table de
travail, entre son chien de police et son chat siamois... » De vous à moi, on
les a assez vues, vos bêtes! Je veux présenter à nos lecteurs une vraie « vous
», une « vous » un peu fouillée, un peu creusée, un peu... Remarquez que j'ai un
crayon et un carnet! Ça m'amuse beaucoup de jouer au reporter qui note les
chiens écrasés et les trous du boulevard... Ça me ressemble si peu, de balader
un attirail de journaleux...

-...

-Si, si, de journaleux, j'aime ce mot dont la désinence découragée dit assez les
tristesses, la mesquinerie, la veulerie d'un métier qui n'en est pas un... Ça
vous étonne, avouez-le, de m'entendre mélancoliser de la sorte... C'est que je
viens de traverser, j'achève à peine de traverser une sale période...

-...?

-Peuh!... tout et rien... Neurasthénie. Un mot vague qui contient tant de
misères précises... C'est au point que j'en suis encore à me demander : voyons,
est-ce que je m'exile à la campagne, avec les quatre sous que m'a laissés mon
père, pour planter mes choux, vivre obscur et... comment dire? monacal... Là
peut-être serait la sagesse... Et tant pis pour les feuillets noircis, pour les
inutiles enfants de ma pensée!...

-...?

-Oui... J'ai mis sur pied une... comment dire? une étude, une formidable « étude
d'homme » -j'aime assez ce titre qui fait pendant aux Études de femmes de
Balzac... Je vais vous parler avec une franchise toute confraternelle : mon
livre est-il achevé -ne l'est-il pas? à chaque instant, je me penche sur mon
héros comme sur un abîme, et je m'écrie : « Mais je ne le connaissais pas! -mais
je ne fais que l'entrevoir! » C'est cette tâche surmenante qui m'a mené où je
suis : neurasthénie, perte du sommeil, appétit capricieux, migraines, etc. Et le
métier, pendant ce temps-là, le terrible métier qui n'attend pas, qui s'impose,
qui vous pousse : va, la reine du marché Sainte-Marguerite t'appelle, l'auteur
dramatique qu'on joue demain t'espère! Alors, le corps exaspéré regimbe, les
nerfs prennent le dessus, on s'abat en pleine course!... Vous connaissez tout
cela, vous avez souffert tout cela, naturellement...

-...

-Allez, allez, ce n'est pas la peine de nier, nous causons coeur à coeur, il me
semble à vous entendre que votre âme reflète un peu de la mienne, je suis si
heureux, si honoré de cette similitude d'impressions! Qu'avez-vous fait pour
triompher de la crise?

-...

-Moi, j'ai d'abord été pris d'une... comment dire?... d'une phobie du bruit et
de la lumière, j'ai été jusqu'à connaître l'enfantillage de doubler mes volets,
de tapisser mes murs de liège... J'ai été -c'est à en rire de pitié! -jusqu'à
proposer à mes voisins d'au-dessus de leur payer un tapis... Je vivais
prisonnier, éclairé par une seule lampe : l'anémie -j'arrête le mot sur vos
lèvres -ne s'est pas fait attendre ; alors ont commencé les fastidieux
traitements destinés à tonifier un malheureux organisme jeune et pourtant
épuisé.

J'ai connu l'hydrothérapie froide, la viande de cheval crue, la ville d'eaux -
ah! quel livre, si j'en avais eu la force, que cette saison de ville d'eaux! -et
pour des résultats illusoires, purement illusoires... Que pensez-vous que j'aie
fait, alors?

-...

-Si, si, vous le pressentez! Je me suis dit : Tu oublieras ton mal, en
t'inclinant sur la souffrance des autres, tu te mireras humblement dans leurs
petitesses, dans leurs ambitions, tu confesseras ce qu'ils cachent ; en un mot :
tu seras reporter! Mais reporter comme on est médecin, un peu, ou détective ; tu
ne te mêleras pas à la foule de ceux qui se bornent au rôle de phonographe et
d'appareil photographique, non! D'un mot imprudent, tu tireras une anecdote ;
d'un sourire ou d'un geste, tu feras un menu roman... Roman paisible, à coup
sûr, que celui qui s'abrite entre les murs et sous les feuillages de ce
jardin... N'est-ce pas?... Ah! c'est délicieux... Ce coin provincial, cet air
qui sent le tilleul... Voilà ce qu'il aurait fallu à mes malheureux nerfs,
mais... Sans indiscrétion, combien avez-vous de loyer?...

-...

-Eh! eh!... Le paradis vaut qu'on le paye... Paradis sans chauffage?... Non?
avec chauffage? Bien. Et vous croyez que dans le quartier, je trouverais...

-...

-Oh! vous dites ça... Vous voudriez bien, au fond, attirer votre confrère et
camarade par ici? Tout de même, dans une maisonnette comme celle-ci, on
réaliserait un ensemble charmant, rien qu'en horribles meubles Restauration...
des commodes-toilettes, des cuvettes trop petites en porcelaine à fleurs... J'ai
le génie de l'ameublement, vous savez... Oh! je ne vais plus penser qu'à ça!
C'est bien votre faute, mais vous me le payerez!

-...?

-Ah! ah!... Qui est-ce qui va se retrouver demain dans l'Heure, campée de pied
en cap, avec sa féminité aiguë et sa sensibilité hyperesthésiée? C'est vous, ma
chère amie, c'est vous!

-...!

-Comment, vous n'avez pas ouvert la bouche? Ah! que c'est femme, ce mot-là, que
c'est femme! Mais rien que dans ce mot-là, il y a cent lignes de psychologie!...
La femme n'est-elle pas toute dans ce qu'elle tait? Je me sauve, vous
m'arracheriez les yeux, car une femme pardonne tout à un homme -même à un
reporter! -sauf la perspicacité. Et je vous vole une rose -j'ai la passion des
fleurs! Si je n'avais pas été, aujourd'hui, uniquement l'esclave de mon métier,
-et d'une curiosité faite de sympathie et d'admiration, -je vous aurais conté
comment m'est venu ce culte des fleurs, c'est bien le cas le plus étrange...
Mais aujourd'hui, place au document! Chère madame et amie, le « journaleux »
vous baise les mains et court à son usine -mais l'ami reste en pensée à vos
pieds, sur cette pelouse qu'ils foulent à peine...

_________________
Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) UNE INTERVIEW. (Le Matin, 25 juin 1914) Une_pa12Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) UNE INTERVIEW. (Le Matin, 25 juin 1914) Plumes19Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) UNE INTERVIEW. (Le Matin, 25 juin 1914) Miniat14Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) UNE INTERVIEW. (Le Matin, 25 juin 1914) James_12Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) UNE INTERVIEW. (Le Matin, 25 juin 1914) Confes12

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