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 Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954)SPECTACLE MONDAIN. (Le Matin, 18 juin 1914)

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James
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James


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Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954)SPECTACLE MONDAIN. (Le Matin, 18 juin 1914) Empty
MessageSujet: Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954)SPECTACLE MONDAIN. (Le Matin, 18 juin 1914)   Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954)SPECTACLE MONDAIN. (Le Matin, 18 juin 1914) Icon_minitimeVen 22 Juin - 17:57

SPECTACLE MONDAIN. (Le Matin, 18 juin 1914)

Paraître sur une scène... On dit qu'il n'en faut pas plus pour enivrer nombre de
personnes honnêtes, qui pensent bien et ne vivent pas mal, occupées, le reste du
temps, de leurs relations, du bon renom de leurs proches, de leurs alliances,
enfin d'affaires uniquement mondaines. On assure que la manie théâtrale se gagne
vite et crée ce type, ce monomane spécial, appelé l'amateur, celui de qui le
comédien professionnel dit, en haussant les épaules : « Il jouerait sur la tête!
»

En contemplant les ébats bien réglés d'une « compagnie » improvisée et tout
aristocratique, en écoutant autour de moi l'estimation détaillée qu'on fait de
ses mérites, je crois découvrir -au-delà du plaisir explicable de paraître, de
se déguiser, de s'embellir -ce qui amène, puis ramène, puis retient
passionnément un artiste mondain sur les planches d'un théâtre : c'est l'envie,
le besoin d'être jugé par ses pairs.

-Ah! vous diront, à l'issue d'une représentation, le jeune premier fiévreux, la
désinvolte ingénue tigrée, ah! jouer sur un vrai théâtre, ah! le grand public...

Je n'en jurerais pas, mais j'incline à penser que leur surexcitation passagère
les trompe. Le vrai, le grand public, pour eux, c'est le « monde ». C'est le
cénacle, aujourd'hui sévère, demain indulgent, plus têtu qu'austère et plus
capricieux que clairvoyant, de leurs égaux, de leurs semblables. C'est leurs
amis, leurs parents, l'oncle chez qui l'on chassa, le voisin de campagne, le
lointain cousin, la jolie belle-soeur, le camarade de cercle, l'hôte fastueux,
l'abonné du Français, l'altesse et le prétendant...

À en croire mes oreilles, ce « grand » public-là vaut en effet qu'on s'en
soucie, et il me paraît bien plus difficile à séduire que l'autre. Et quelle
sincérité terrible! Aucun de mes voisins ne se soucie de ménager les interprètes
que mêle, à cette heure, un ballet antique. Des voix de tête bravent toute
musique, et même toute amitié, au profit de la vérité pure :

-C'est Mme de X... qui danse seule au milieu? Ah! qu'elle a tort de faire ça!
Elle est devenue beaucoup trop lourde pour ce genre d'exercices.

-Et ce pauvre Z... avec sa lance! Si au moins il avait l'air de s'amuser!...
Charmants, ces petits gestes natatoires des jeunes personnes!... Hé là! Cher
ami, dites-moi donc pourquoi diable Mlle de B. s'est-elle fait épiler le dessous
des bras?

-C'est la tenue d'été, mon vieux. Penche-toi un peu, que je puisse dire des
choses pénibles à ta femme... oui, à vous, chère madame, à vous qui m'avez
affirmé que le jeune V... était si joli garçon!...

-Qu'est-ce que vous voulez, je ne pouvais pas savoir qu'il avait des genoux de
cheval de fiacre!... Mais au moins, vous la trouvez gentille, la petite de X...,
avec sa tunique qui s'arrête au-dessus de... non, au-dessous du... enfin sa
tunique courte? C'est une si bonne enfant!...

(Silence bref, puis l'interlocuteur, à tue-tête :)

-Oui, pas mal, pas mal! Elle m'inspirait assez, pas plus tard qu'avant-hier,
mais depuis qu'elle nous en montre tant que ça à la fois, je me refroidis. Et
c'est curieux, ma bonne amie, voyez donc, Mme de W., qui a le visage si parlant
et si animé chez elle, elle a autant d'expression sur la scène qu'une poupée de
cire! (etc.).

Pour de tels juges, ceux-ci bavards, ceux-là pincés, les autres envieux et
muets, de nobles jeunes femmes dansent, si fort attentives à leur pas de danse
que certaines oublient sur leur visage un air préoccupé d'honnêtes employées ;
de nobles jeunes hommes brandissent des épieux et bondissent, le jarret un peu
raide... Le tableau final groupe, sur un fond, des costumes lourds d'or, peints,
brodés de perles et de pierres, cinquante figures d'hommes et de femmes
conscients de leur effort, respectueux d'une tâche accomplie devant un public
qui les reflète comme un sévère miroir ; il y a là un demi-cent de faces
singulièrement variées, où les origines ont laissé un « étampage » mystérieux,
ici sur un nez busqué, là sur un front bossu fait pour le dur morion -sur un
long menton anglais, sur un suave ovale sarrasin ou un front laiteux frangé de
cheveux roux -sur la joue pleine et dans les grands yeux d'une Juive, noirs et
magnifiques au-dessous d'un large diamant ancien au feu lent...






_________________
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