PLUME DE POÉSIES
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 François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE XIV

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MessageSujet: François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE XIV   François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE   XIV Icon_minitimeSam 14 Juil - 0:15

XIV


h! le radieux jour! La bonne matinée!
Sous la splendeur du ciel bleu, le paysage des quais parisiens a l'air tout
rajeuni, tout battant neuf. A la station des voitures, dont le soleil fait
étinceler les cuirs vernis, l'horloge du kiosque marque midi, et nous sommes le
1er juin. La belle heure et la belle saison! La Seine aux flots verts semble
couler, aujourd'hui, plus joyeuse et plus rapide. Devant les cases des
bouquinistes les passants s'arrêtent avec une douce chaleur dans les reins; et,
sur le pont des Arts, tout émoustillé par les effluves du printemps, un des plus
vieux membres de l'Institut se surprend à fredonner un couplet de Désaugiers,
que lui chantait, sous Charles X, dans un cabinet du Rocher de Cancale, une
grisette en souliers cothurnes et en manches à gigots. On rajeunit vraiment. Il
fait bon vivre.
Dans son boudoir, où pénètrent par la fenêtre ouverte l'air pur et la grande
lumière, Mme Bernard des Vignes-oui! elle-même-subit l'influence enivrante de la
belle journée.
C'est après-demain qu'elle se remariera, c'est après-demain qu'elle quittera son
deuil; et, sur le divan, dans un carton ouvert, voici le chapeau qu'elle mettra
pour la cérémonie. Tout à l'heure, la modiste le lui présentait, posé sur le
poing, en disant de sa voix aimable de marchande:
-Vous, voyez, madame. C'est tout à fait ce que vous désiriez... Quelque chose de
sérieux... Rien que cette petite branche de lilas.
Et en essayant le chapeau devant sa psyché, Mme Bernard a trouvé qu'il était
d'un goût charmant, qu'il lui allait dans la perfection,-et elle a souri.
Oui! elle a souri. Car elle a réappris à sourire. On l'aime; elle est redevenue
femme, elle veut plaire. Le jour où, seule avec M. de Voris qui la suppliait,
elle-lui a jeté un regard de consentement, Mme Bernard a vu l'héroïque soldat
des campagnes sous Metz et du Tonkin tomber à ses genoux, muet et brisé de
bonheur, et pleurer sur ses mains comme un enfant. Aimer encore? Le
pourra-t-elle? Du moins, elle est sûre d'être bien aimée. Oh! comme elle va se
reposer, se détendre, dans ce bain de tendresse! Et puis, faire un heureux,
c'est encore si doux!
Non! Armand n'est pas oublié, il ne le sera jamais. Après demain, agenouillée
auprès de son nouvel époux, Mme Bernard pensera à son fils, priera pour son
fils. Et pourtant, pourtant!... Il est loin, l'ancien désespoir. La noire
tristesse qui lui avait succédé se dissout et s'évapore en mélancolie. Non!
Armand n'est pas oublié. Cependant, la blessure se ferme et se cicatrise. Elle
souffre, moins, l'inconsolable, et, tout à l'heure,-ah! misérable nature!-elle
souriait à son chapeau de noces, à ce joli chiffon.
Mais un domestique entre dans le boudoir, avec une lettre sur un plateau.
Écriture inconnue. Mme Bernard déchire l'enveloppe. Quatre pages. De qui peut
être cette longue épître? Elle cherche et trouve la signature, «Henriette
Perrin», et voici ce qu'elle lit, avec un grand frisson qui lui passe dans tout
le corps.
Paris, Hôpital Necker, 28 mai.
«Madame,
«Je suis bien malade à l'hôpital Necker, et si faible que je ne puis tenir la
plume. Une voisine de salle, qui entre en convalescence, est assez bonne pour
écrire sous ma dictée, et, quand je serai morte, seulement quand je serai
morte,-mais cela ne tardera pas,-elle vous fera parvenir cette lettre.
«Je ne veux pas m'en aller sans vous avoir demandé pardon de la peine que j'ai
pu vous faire. J'ai su par Armand combien vous étiez fâchée et mécontente de
mes relations avec lui. Je reconnais mes torts. Vous m'aviez admise dans votre
intérieur, vous aviez été très bonne pour moi, et, en devenant l'amie
d'Armand, j'ai eu l'air d'abuser de votre confiance. Je comprends que vous
m'en vouliez beaucoup et que vous ayez de mauvaises idées sur mon compte.
Pourtant, j'espère que vous aurez pitié de moi et que vous me pardonnerez,
quand vous recevrez cette lettre; car, alors, je serai morte de chagrin. Les
médecins disent que c'est le foie qui est malade. Mais, depuis la mort de mon
Armand bien aimé, je sens que je m'en vais, voilà la vérité.
«Madame, on ne ment pas quand on va mourir. Il faut me croire. Je vous jure
qu'Armand a été mon premier et mon seul ami. Je l'ai aimé tout de suite, comme
une pauvre folle que j'étais, comme il est impossible d'aimer plus. Mais je
n'ai pas fait la coquette, je vous assure, et je suis encore tout étonnée
qu'il ait bien voulu, qu'il n'ait pas rougi d'une petite amie aussi ignorante
et aussi simple que moi. Soyez indulgente, madame; songez combien nous étions
jeunes tous les deux!
«Je savais, bien que cela ne durerait pas longtemps, que les jeunes gens de
famille doivent se marier avec une personne de leur monde, que tôt ou tard
vous auriez décidé votre fils à me quitter. Mais j'y étais résignée d'avance,
et, soyez-en sûre, celle qu'un Armand avait un peu aimée ne serait pas devenue
une vilaine. Oui, j'aurais su vivre, toute seule dans mon coin, avec mon cher
et unique souvenir de jeunesse, me consolant par la pensée qu'Armand aurait
été heureux, lui, au moins, avec belle jeune femme et de beaux enfants. Mais
qu'il soit mort à vingt ans, en quelques jours, sans même que je l'aie
embrassé une dernière fois, voilà ce que je n'ai pas pu supporter.
«Quand j'ai appris cela, dans la loge de votre concierge, j'ai reçu le coup
qui m'a tuée. Depuis ce jour affreux, j'ai comme de la glace autour du coeur.
Tout de suite, j'ai commencé à me mal porter, et puis, deux mois après Armand,
ma vieille tante s'en est allée à son tour et je suis restée toute seule. Je
travaillais toujours,-il fallait bien!-mais comme une machine, et je restais
des heures et des jours sans dire un mot, avec mon chagrin qui me rongeait. Ma
seule consolation, c'était d'aller, le dimanche matin, porter des fleurs au
tombeau d'Armand. Et, à propos de cela, madame, je vous remercie d'avoir
laissé mes petits bouquets à côté des vôtres. C'est même ce qui m'a fait
espérer que vous m'en vouliez un peu moins, que déjà vous me pardonniez
presque. Enfin, je suis tombée tout à fait malade. Je ne pouvais plus
travailler, j'étais sans ressources, et il a fallu aller à l'hôpital. Mais si
vous saviez ce que j'ai souffert le premier dimanche que j'ai passé ici, en me
disant que vous ne trouveriez là-bas que mon bouquet fané de la dernière fois
et que vous alliez croire que j'avais oublié mon Armand! C'est aussi pour cela
que je vous écris, afin que vous sachiez bien que je meurs avec son nom sur
les lèvres.
«Madame, je me suis confessée hier. La personne à qui je dicte cette lettre a
de la religion et m'a demandé de voir un curé. Depuis ma première communion,
je n'étais pas retournée à l'église et les prêtres me faisaient un peu peur.
Mais celui qui est venu m'a parlé très doucement et m'a dit que mes fautes me
seraient pardonnées. Vous serez aussi bonne que lui, n'est-ce pas? et vous ne
m'en voudrez plus d'avoir tant aimé votre fils.
«Adieu, madame. Si j'osais vous adresser encore une prière, je vous
demanderais, quand vous irez à Montparnasse, d'acheter, comme je le faisais, à
la porte du cimetière, un petit bouquet de fleurs de la saison, un bouquet de
deux sous, pas plus, et de le mettre sur la tombe d'Armand avec les vôtres. M.
l'abbé m'a bien dit qu'on retrouverait au ciel ceux qu'on avait aimés. Mais
que sait-on? Il me semble que, tout de même, le pauvre Armand, dans son
cercueil, sera content de recevoir le souvenir de sa petite amie. Vous serez
tout à fait généreuse, madame, si vous voulez bien vous rappeler et satisfaire
le dernier désir de
«Votre très respectueuse et très humble servante,
«HENRIETTE PERRIN»

Mme Bernard des Vignes fond en pleurs en achevant la lecture de cette lettre.
Comme il a pâli tout à coup, le soleil de juin! Comme elle est morne, cette
journée de printemps! Et là, sur le divan, dans ce carton ouvert, le joli
chapeau de noces, avec sa branche de lilas! Il lui fait mal à voir, maintenant,
à la mariée de demain! Elle en a honte!
Certes, elle a pardonné, elle pardonne encore! Certes, elle accomplira le voeu
de la morte! Mais, les yeux fixés sur la signature d'Henriette Perrin, sur les
deux seuls mots que la pauvre fille ait pu tracer de sa main de moribonde, la
mère d'Armand, d'une voix basse, d'une voix de vaincue, murmure, avec un suprême
mouvement de rancune et de jalousie:
-Elle l'aimait mieux que moi!
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François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE XIV
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