II
Les trois princesses devenaient plus belles encore en grandissant.
C'était charmant de les voir courir sous la feuillée, sifflant aux merles, volant aux papillons, cueillant la noisette
nouvelle.
Un soir le roi O dit à la reine É :
Il faut marier nos filles, les belles princesses A, I, OU. Pour la princesse A nous aurons de la peine, car elle est
comme une oie, elle crie contre tous les gentilshommes et contre toutes les darnes de la cour. La princesse I, ce sera
plus facile, elle rit toujours : nous la donnerons à un prince écervelé. Quant à la troisième, la petite OU, ça se fera
sans nous ; elle a toujours peur, elle veut se sauver dans les bois, mais elle est à croquer.
La reine dit au roi :
- Que Votre Majesté n'oublie pas que nos trois princesses n'ont à elles trois qu'une seule chemise (bien légère),
cadeau de leur marraine, la fée Araignée. Le peuple est écrasé d'impôts, et les tabacs ne nous fourniront jamais de
quoi leur acheter d'autres chemises.
Le roi O dit :
- Oh !
Boum, boum, boum ! Qu'est-ce que c'est ? le canon ! Ah ! c'est une visite d'à côté. Est-ce le roi de Derrière-les-fagots,
le voisin ? Non, ce sont ses trois fils, le prince P, le prince T et le prince K.
- Dis donc, bobonne, il y aurait peut-être moyen de placer nos trois princesses... Eh ! c'est à toi que je parle, dis
donc, la reine, É, É, É. Tu dors ?
- Sire, mariez-les comme il vous plaira.
(Boum, boum !) Levons-nous, sire, et allons nous asseoir sur nos trônes, pour recevoir les princes.
Il faut dire que le roi X de Derrière-les-fagots n'était pas plus riche que le roi O. Il avait prié l'enchanteur Merlin
d'être le parrain d'un fils, qui lui était promis par la reine Z. Mais quand Merlin vint au baptême, il vit qu'au lieu d'un
fils, la reine Z en avait donné trois, qui furent appelés le prince P, le prince T et le prince K, comme on sait.
Mais Merlin l'enchanteur, ne comptant que sur un seul filleul, n'avait préparé qu'un seul cadeau. C'était un sabre
magique à la poignée de saphir. Les plus grands enchanteurs ne peuvent pas changer leurs volontés. Aussi Merlin dit
au roi X :
- Tant pis ! mes filleuls n'auront qu'un sabre pour eux trois.
Ce n'était pas l'avarice qui poussait Merlin, puisqu'il fit tomber, par sa magie, des étoiles filantes, qui devenaient des
pralines, des dragées et des pièces de vingt francs. Il est vrai qu'avec la magie ça ne lui coûta pas quatre sous.
Le prince P devint un mangeur, le prince T devint un danseur, le prince K devint un chasseur.