CHAPITRE XXI.
RETOUR DU BIJOUTIER.
Le bijoutier revint et présenta à nos dévotes deux muselières des mieux
conditionnées.
«Ah! miséricorde! s'écria Zélide. Quelles muselières! quelles énormes
muselières sont-ce là! et qui sont les malheureuses à qui cela servira?
Cela a une toise de long. Il faut, en vérité, mon ami, que vous ayez
pris mesure sur la jument du sultan.
-Oui, dit nonchalamment Sophie, après les avoir considérées et
compassées avec les doigts: vous avez raison; et il n'y a que la jument
du sultan ou la vieille Rimosa à qui elles puissent convenir...
-Je vous jure, mesdames, reprit Frénicol, que c'est la grandeur
ordinaire; et que Zelmaïde, Zyrphile, Amiane, Zulique et cent autres en
ont pris de pareilles...
-Cela est impossible, répliqua Zélide.
-Cela est pourtant, repartit Frénicol: mais toutes ont dit comme vous;
et, comme elles, si vous voulez vous détromper, vous le pouvez à
l'essai...
-Monsieur Frénicol en dira tout ce qu'il voudra; mais il ne me
persuadera jamais que cela me convienne, dit Zélide.
-Ni à moi, dit Sophie. Qu'il nous en montre d'autres, s'il en a.»
Frénicol, qui avait éprouvé plusieurs fois qu'on ne convertissait pas
les femmes sur cet article, leur présenta des muselières de treize ans.
«Ah! voilà ce qu'il nous faut! s'écrièrent-elles toutes deux en même
temps.
-Je le souhaite, répondit tout bas Frénicol.
-Combien les vendez-vous? dit Zélide...
-Madame, ce n'est que dix ducats...
-Dix ducats! vous n'y pensez pas, Frénicol...
-Madame, c'est en conscience...
-Vous nous faites payer la nouveauté...
-Je vous jure, mesdames, que c'est argent troqué...
-Il est vrai qu'elles sont joliment travaillées; mais dix ducats, c'est
une somme...
-Je n'en rabattrai rien.
-Nous irons chez Éolipile.
-Vous le pouvez, mesdames: mais il y a ouvrier et ouvrier, muselières
et muselières.»
Frénicol tint ferme, et Zélide en passa par là. Elle paya les deux
muselières; et le bijoutier s'en retourna, bien persuadé qu'elles leur
seraient trop courtes et qu'elles ne tarderaient pas à lui revenir pour
le quart de ce qu'il les avait vendues. Il se trompa. Mangogul ne
s'étant point trouvé à portée de tourner sa bague sur ces deux femmes,
il ne prit aucune envie à leurs bijoux de parler plus haut qu'à
l'ordinaire, heureusement pour elles; car Zélide, ayant essayé sa
muselière, la trouva la moitié trop petite. Cependant elle ne s'en défit
pas, imaginant presque autant d'inconvénient à la changer qu'à ne s'en
point servir.
On a su ces circonstances d'une de ses femmes, qui les dit en confidence
à son amant, qui les redit en confidence à d'autres, qui les confièrent
sous le secret à tout Banza. Frénicol parla de son côté; l'aventure de
nos dévotes devint publique et occupa quelque temps les médisants du
Congo.
Zélide en fut inconsolable. Cette femme, plus à plaindre qu'à blâmer,
prit son bramine en aversion, quitta son époux et s'enferma dans un
couvent. Pour Sophie, elle leva le masque, brava les discours, mit du
rouge et des mouches, se répandit dans le grand monde et eut des
aventures.