VOYAGE D'ANTONY.
Antony fut conduit en silence dans la voiture qui roula si long-temps
qu'il se crut à vingt lieues de Paris. Elle s'arrêta tout à coup sur un
cri des deux guides, au milieu desquels Antony était assis.
Le rentier qui n'avait pas soufflé le mot, durant le voyage, descendit
le premier, et s'éloigna. Antony fut déposé au milieu d'une rue déserte
et noire qu'il prit pour une ville de province inconnue. Quand son
bandeau fut ôté et qu'il put porter autour de lui ses yeux pleins de
terreur:
-Tirez-vous de là, dirent brièvement ses guides en remontant dans la
voiture que l'enfant infortuné vit s'éloigner avec l'amertume profonde
de son abandon.
Il resta quelques instants sans se mouvoir et sans rappeler ses idées.
Cette ville nouvelle lui paraissait pleine de consternation, il trouvait
les maisons d'un aspect bizarre, bâties tout autrement qu'à Paris,
son cher Paris! et présentement qu'il était pour lui d'une impérieuse
nécessité de sonner à quelque porte pour s'y sauver d'une nuit
d'épouvante et d'insomnie, à jeun; tous les pieds de biches du monde
n'auraient pu réveiller sa passion éteinte pour le son des marteaux et
des cloches. Il s'assit en soupirant au coin d'une borne sur un banc
étroit qu'il accepta pour son lit, non sans murmurer tristement:
Ah! que les bancs son bien plus larges à Paris! et les réverbères, Dieu!
qu'ils sont ternes dans cette petite ville... Est-ce qu'il y a des
hommes dans ces habitations froides?... Maman! maman! que la vôtre à
cette heure était chaude et gaie pour moi! Si vous saviez où je suis,
vous prendriez la poste pour venir me sauver. Il est vrai que je suis
bien coupable; mais vous n'auriez pas le courage, vous, de me punir
si cruellement, car je suis perdu enfin!...» Et les larmes d'Antony
coulèrent par flots sur le banc de pierre.
Mon Dieu! s'écria-t-il, est-ce que vous m'avez abandonné!»