PLUME DE POÉSIES
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 Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) LE PETIT BÈGUE. II. LES PETITS NAGEURS.

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Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859)  LE PETIT BÈGUE. II.  LES PETITS NAGEURS. Empty
MessageSujet: Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) LE PETIT BÈGUE. II. LES PETITS NAGEURS.   Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859)  LE PETIT BÈGUE. II.  LES PETITS NAGEURS. Icon_minitimeJeu 4 Oct - 21:09

II.

LES PETITS NAGEURS.

On arriva ainsi jusqu'en juillet 1830. L'extrême chaleur ralentissait
parfois le courage des écoliers. René savait lire et causait souvent
tout bas avec ses livres, ses bons amis, qui ne lui faisaient pas la
grimace. Il savait écrire et il parlait de cette manière sans bégayer.
On trouvait sur toutes ses pages.

-Bon jour, ma mère! comment vous portez-vous?

-J'aime mon père et ma mère.

-Je voudrais bien aller voir ma mère!

-Quand je serai grand, je soignerai ma mère, et je la laisserai
dormir! Elle dormira si elle veut jusqu'à huit heures.

-Oh! je voudrais qu'il ne fît jour qu'à huit heures!

Sa parole écrite était correcte et vraie; son écriture presque élégante.
Ma mère! était surtout enjolivé de traits tout-à-fait jolis. C'était
comme une manière de couronne qu'il avait un sérieux plaisir à composer
autour. Il se croyait heureux quand on le laissait là, quand il marchait
vite, seul et libre, le nez au vent, jetant ses bras devant lui, sur sa
tête, en tous sens, comme un être fort qui veut grandir. Personne dans
l'école ne le haïssait, il ne troublait personne, il était même aimé
comme une espèce de joujou solide sur lequel on se jetait quand les
autres étaient cassés.

On l'appelait souvent bègue-bête pour rire, et plus souvent
bonne-bête. Quelques ricaneur peut-être avaient rencontré ses yeux;
c'étaient de ces yeux qui lancent une pensée toute chaude, toute claire;
son regard ne bégayait pas plus que son âme; vous allez voir! Car je
l'aime, moi, ce petit René; je veux vous le raconter des pieds à la
tête.

Ce jour-là, en juillet, un jour tout de feu et de vacance, on alla se
baigner. Toute l'école avait soif d'eau, de cette belle eau dont le
bruit rafraîchit l'oreille, dont le courant plein de perles blanches
semble entrer par les yeux dans l'imagination altérée de ceux qui la
regardent.

Dernier venu dans l'école, à l'époque de l'année où les bains de rivière
sont clos jusqu'à l'autre été, René ne savait pas nager.

-René, lui dit-on, vous veillerez sur les habits et vous regarderez
comme font les autres pour vous déniaiser un peu. Le maître de natation
vous commencera bientôt.

René avait répondu oui, par un signe de tête; car il avait toujours
l'épouvante de dire: ou... ou....oui! c'était plus fort que lui.

«Messieurs, vous m'attendrez! dit le sous-maître qui avait oublié je ne
sais quoi et qui les laissa aller en avant. Que pas un de vous ne se
déshabille avant mon retour! je connais la rivière; il y a une petite
barre dangereuse. Restez tous tranquilles, sur votre parole d'honneur!»

Parole d'honneur! parole d'honneur! répondirent en s'égosillant les
écoliers, qui ne demandent jamais mieux que de lancer une exclamation
dans l'air. Mais on n'a trop de raison de dire: autant en emporte le
vent. Je voudrais qu'on réfléchit longtemps avant de dire parole
d'honneur pour une chose à venir.

Achille pouvait conduire ce bataillon civil, car Achille avait treize
ans. C'était un grand garçon droit comme une flèche, blond, joli, prompt
comme un épervier. Quand il voulait un plaisir, sur l'eau, sous l'eau,
n'importe, il s'élançait au but, la tête la première; chacun de ses
mouvements avait l'air de crier: Gare que je je passe! «il n'avait pas
dit tout-à-fait parole d'honneur, comme les autres, mais seulement
eur, eur, eur! ce qui n'engage à rien du tout, ce qui n'est qu'un cri
comme un autre.

Voilà donc ce héros des rivières poussé par l'orgueil de l'indépendance,
attiré par le bruit frais du large bain qui les attendait tous, le voilà
en deux secondes, sans habit, sans bas, sans chemise, dans l'eau! Vous
jugez de l'étonnement des autres qui regardaient, la bouche béante, le
plongeur hardi, si pressé de déployer ses habiles manoeuvres, que toute
prudence l'abandonna. Il but, il tourna, il eut peur et disparut devant
l'inexprimable terreur de ses camarades qui poussèrent des plaintes vers
le ciel, sans pouvoir détacher leurs pieds du sol où ils semblaient
attachés par force.

René fit trois pas en arrière, et d'une voix hurlante de douleur, cria
vers le sous-maître dont les cheveux se dressèrent d'effroi:

-Secours! secours!

Alors jetant son habit à la tête des écoliers tremblants qu'il bouscula
dans un trouble intelligent, il bondit juste à la place où avait coulé
son camarade. Sa chute les couvrit d'eau et leur fit froid.

-Il ne sait pas nager! disaient les enfants pâles en se tordant les
mains, et s'embrassant à demi-morts. Deux petits étaient tombés à genoux
pour ne pas voir et sanglotaient: Le sous-maître, suffoqué de poussière,
accourait de toutes les forces de sa vie; mais que c'était lent devant
la mort qui va si vite? si vite qu'Achille, étouffé par la suffocation
de l'eau et de la peur, ne pouvait plus seconder René qui le tenait par
les cheveux d'une main infatigable, nageait des pieds et de l'autre main
avec l'instinct sublime d'un chien qu'on jette à l'eau pour la
première fois. Ses yeux ardents, ses mouvements souples et rapides,
l'inébranlable idée de sauver son fardeau en le poussant vers le bord,
et quelque ange arrêté peut-être devant sa généreuse imprudence, le
soutinrent longtemps. Tout-à-coup il s'enfonce..., un silence d'horreur
répond seul au précepteur haletant qui atteignait cette scène de
désolation.

-Où sont-ils? dit le pauvre maître dont les dents claquent
d'impatience, et qui se déshabille en les interrogeant.

-Là! montrent les enfants, où tout s'était englouti: mais ce n'était
plus là.

René, comme attiré vers le bord par une puissance divine, y paraît à
l'instant, traînant après lui sa proie évanouie, sans qu'il semble
trop surpris de ce prodige. Il eût fallu lui couper le bras pour l'en
séparer; car ses doigts étaient si prodigieusement serrés dans les
cheveux d'Achille, que sa main saignait déchirée de ses propres ongles.

Les acclamations qui le reçurent l'effrayèrent d'abord, et il se remit
à crier: secours! secours! pensant que le pauvre Achille n'était pas
entièrement sauvé. Mais il était sauvé! ivre et faible encore, étendu
sur le gravier que le soleil rendait brûlant. Il regardait René nu comme
lui, René, que des souvenirs confus, des fils noués entre eux pour
l'avenir tout entier, lui faisaient chercher, contempler comme son
sauveur. Bénédiction! il revenait à la vie par la reconnaissance. Leurs
yeux ne pouvaient se détacher l'un de l'autre.

Oh! comment t'es-tu jeté ainsi sans savoir nager? lui dit-on en
l'accablant de caresses et de questions.

Je ne l'ai pas senti, réplique René avec feu: tout ce que je sais, c'est
que j'étais sur les cailloux, et que tout d'un coup, je me suis trouvé
dans l'eau: j'ai vu clair, j'ai vu jusqu'au fond, j'y suis descendu
comme par un escalier glissant; j'ai trouvé sa tête j'ai dit: bon!
A présent, il faut revenir. Et j'ai poussé devant nous. Le chemin
s'ouvrait tout seul; je n'ai pas eu de peine; seulement, j'ai cru une
fois qu'il s'enfonçait sous moi, et j'ai coulé dessous pour voir. Alors
avec deux bons coups de pieds, si fort que je n'en respirais plus, j'ai
tout jeté de ce côté, et le voilà! termina-t-il avec un rire plein de
larmes. Il ne bégayait plus.

-Tu parles comme tu nages! lui dit le précepteur en secouant sa main,
transporté d'admiration, tandis que les autres faisaient cercle pour
écouter son récit plein de candeur.

C'est, mon Dieu, vrai!» répliqua René en s'écoutant parler avec autant
de surprise que de joie.

J'ai dit tout ça couramment. Avez-vous bien entendu? Ajouta-t-il pour
s'assurer que ce n'était pas un rêve.

-Oui, mon bon petit garçon, dit le maître, en le couvrant de caresses:
oui! aussi couramment que je te proclame une digne créature! Oh! je
parlerai donc comme un autre à présent! on ne se moquera plus de moi!

Non! non! Vive René! cria toute l'école en l'emportant dans ses bras.

-Oh! quand ma mère va savoir que je ne suis plus bègue! dit l'enfant.
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Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) LE PETIT BÈGUE. II. LES PETITS NAGEURS.
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