PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) LES PETITS SAUVAGES

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité




Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859)  LES PETITS SAUVAGES Empty
MessageSujet: Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) LES PETITS SAUVAGES   Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859)  LES PETITS SAUVAGES Icon_minitimeSam 6 Oct - 15:56

LES PETITS SAUVAGES

Un naturaliste vivait heureux au milieu des échantillons de toutes les
parties du monde qu'il pouvait rassembler dans son cabinet.

Ces fragments de l'univers étaient rangés avec tant d'ordre, qu'une
carte de géographie semblait froide auprès des quatre coins de ce monde
en miniature. C'était un charme. Ce savant conduisait par la main ceux
qui le visitaient, là en Asie, là! en Afrique, là en Europe ou bien en
Amérique. C'était presque aussi instructif et beaucoup moins fatigant.

Monsieur Le Fémi, comme il s'appelait, avait aussi des enfants qu'il
aimait avec une tendresse infinie, mais prudente. Ce sanctuaire de la
science, qui était en même temps la source de leur fortune, ne s'ouvrait
pour eux qu'en sa présence. Il pensait, ce père plein de sollicitude
pour ces chers petits ignorants, que la chose la plus innocente recèle
un danger, quand on en méconnaît l'usage. Aussi fermait-il soigneusement
à clé ce magasin pittoresque, objet de la curiosité toujours renaissante
de ces trois enfants affamés de nouveautés et de joujoux.

-Oh! que je voudrais avoir un morceau d'Asie! disait l'un. Moi, une
dent de l'Afrique, disait l'autre en soupirant pour un long fragment
d'ivoire étiqueté: Dent d'hippopotame d'Afrique.

Mais, mieux garantis qu'Adam et Ève dans leur soif curieuse, ils
tournaient autour de l'arbre de la science, sans pouvoir y rien
cueillir, car il était sous les verroux. Ils n'entraient qu'avec leur
père, quand nul danger ne pendait aux murs; quand les serpents étaient
vendus on empaillés; enfin, quand on pouvait faire ce voyage de la terre
connue, sans crainte de se blesser en route. Mais un instinct dangereux
ramenait sans cesse les enfants autour de celte salle, isolée de la
maison par l'espace d'un jardin qui l'en séparait. C'était au bout
d'une longue allée d'arbres, où ces enfants jouaient à tous leurs jeux
bruyants. Ils choisissaient de préférence cette place à tous les coins
frais et odorants du jardin dans le seul plaisir de lever leurs nez vers
la grande fenêtre inflexiblement fermée, et de regarder à travers tout
ce qui leur eût fait des jouets si amusants! Vous eussiez dit de jeunes
chats sous une volière.

Un jour moins clair qu'un autre, un de ces jours qui portent l'homme
à la réflexion, et les enfants à l'ennui, où le soleil s'était caché,
peut-être pour ne pas voir ce qui allait arriver, les trois enfants
allaient, venaient, errants par-ci, par-là, les bras sur la tête, sans
goût, sans jambes pour grimper aux arbres où il n'y avait plus de
poires, un vrai jour de repos et d'inaction, si des écoliers en vacances
pouvaient comprendre l'inaction et le repos. Monsieur Le Fémi, sorti de
grand matin pour des recherches précieuses, venait comme à l'ordinaire
d'emporter sa clé: mais comme il avait nouvellement reçu des caisses
pleines de toutes sortes de trésors étrangers, un grand désordre régnait
dans son cabinet, où tant de belles choses étaient confondues pêle-mêle
sur les tables et par terre. Déjà vingt fois messieurs les enfants
avaient plongé leurs yeux de cormoran contre les carreaux de vitres,
qu'ils détestaient, faisant des commentaires sur tout ce qu'ils
entrevoyaient d'une manière si imparfaite et sans pouvoir y toucher!
leurs coeurs passaient à travers la fenêtre. On sait bien que c'est
attrayant des curiosités à distance, des objets qui brillent, dont les
couleurs éclatent, dont la forme inconnue tourmente l'intelligence, et
attire l'instinct d'apprendre; on le sait bien; mais des enfants qui
doivent être un jour des hommes, ont déjà le courage nécessaire pour
vaincre ses élans mal placés. Il y a toujours de la joie dans la
résistance contre un mauvais désir, et toujours du danger dans la
possession d'une chose défendue.

C'est encore ici une preuve de cette grande vérité. L'impossibilité
de glisser en corps comme en âme par ces carreaux transparents qui
semblaient rire au nez des enfants, leur rendit l'énergie de courir et
de chercher à se distraire par le mouvement et le bruit.

Une paume heureusement retrouvée fit l'affaire. Il y eut un moment
d'ardeur et d'oubli qui tint lieu de vertu. On ne pensa qu'au bonheur
permis. On fit bondir la paume au milieu de l'allée verte; on sauta
presque aussi haut qu'elle, et l'idée fixe du cabinet merveilleux
s'évapora en cris aigus, étourdissante morale de cet âge.

Mais la paume lancée à travers l'espace par la main déjà vigoureuse
d'Alfred se dirigea comme à son insu du côté de la fenêtre, et brisa
le carreau du milieu. Clic! clac! un trou pour passer la tête: gare la
tentation!

Il n'y avait pas deux partis à prendre: il fallait fuir. Ce n'est pas
lâche de fuir la tentation.

Alfred resta pétrifié comme Emile et Blondel. Il perdit son temps à
déplorer une faute involontaire, et à ramasser les inutiles débris de la
vitre en éclats. C'était du temps bien employé!

Peu à peu, le bruit du verre rompu s'oublia, le regret de cette faute se
fondit dans une ardente espérance rallumée.

-Vois comme on voit! dit Alfred à voix basse.-Oh! que c'est beau!
répondirent les autres plus petits, en se haussant sur leurs pieds, et
se tenant au mur sous la fenêtre. Alfred, entraîné dans l'éblouissement
de l'attraction, grimpa jusqu'au carreau cassé, et s'accrocha sur
l'appui de la fenêtre en passant son bras par ce trou de mauvais augure.

-Qu'est-ce que tu vois? demandaient les plus petits haletants et gênés.
Le cou leur faisait un mal affreux, et leurs ongles, ne pouvant entrer
dans le mur, se cassaient contre, ce qui est très douloureux.

Enfin, la probité fit naufrage. L'espagnolette rouillée se trouva, je
ne sais comment (Alfred lui-même n'a pu l'expliquer), sous la main
de l'escaladeur. Elle tourna, cria un peu, sépara en deux la croisée
gémissante d'une telle violation, et tout fut dit. Les deux petits se
hissèrent comme ils purent, après quelques glissades qui crevèrent
les pantalons aux genoux, et à l'aide de l'infatigable Alfred, qui ne
voulait être heureux ni coupable tout seul, on entra ivre, palpitant,
effrayé de bonheur, forcé au silence par excès d'émotion et de fatigue.

Après cette trêve qui ranima les coeurs, toutes les caisses ouvertes
furent inspectées; on fureta les quatre parties du globe; on se trompa
en replaçant les spécimen plus chers au naturaliste absent que les
prunelles de ses yeux. Bien des choses qui venaient du coin de l'Afrique
furent rejetées à la hâte au milieu de l'Asie. En un moment tout fut
sens dessus dessous; on marcha sur l'univers; on s'habilla en sauvage!

Il y avait précisément là les dépouilles de quelque tribu, dont les
ceintures et les bonnets surchargés de plumes offraient une irrésistible
parure. Les bonnets flottants haussèrent de trois pieds Alfred et ses
frères. Les pantalons déchirés disparurent sous les ceintures emplumées
qui leur faisaient des blouses, vu leurs tailles, et des carquois brodés
de perles ou de coquillages furent attachés tant bien que mal sur leurs
épaules tremblantes d'orgueil.

-Toi, tu es anthropophage! dit Alfred à Blondel, petit blond
naturellement fort doux, que l'exemple seul avait attiré dans ce
gouffre.

-Toi, Emile, tu es l'Esquimau, mangeur de poissons et de fruits. Moi!
je suis le chef d'une tribu guerrière; je passe: l'anthropophage veut te
manger, je tire une flèche, et je le tue.

-Non! je ne veux pas que tu me tue! dit Blondel qui prétendait jouer
longtemps. Il faut nous battre; tu crieras: arrête! je ne m'arrêterai
pas; Emile tombera; et pendant que je lui mangerai la tête, pour
faire semblant, toi tu feras un cri de guerre, oak! oak! et nous nous
battrons.

-Hardi! répliqua l'aîné, et la pièce commença.

Les flèches jouèrent leur rôle; rôle affreux!

La mort montre un bout de sa faux partout. On dirait que les enfants
l'agacent dans leurs jeux pleins d'imprévoyance: elle tourne autour de
ceux qui n'ont pas de respect pour les ordres de leur père.

Les flèches, en apparence plus élégantes qu'acérées, ressemblant
par leur extrémité à l'aile d'un oiseau gracieusement ouverte,
s'entremêlèrent bientôt aux acclamations confuses de: oak! oak! et de
tout ce qu'on pouvait inventer de plus sauvage, lorsqu'une douleur aiguë
arracha un vrai cri, un vrai aie! si naturel, et si perçant qu'il
termina le combat. Alfred était blessé au doigt, et bien qu'il voulut
rire, il paraît qu'il n'en eût pas la force. La piqûre le mordit
jusqu'au sang.

La voix du père, retentissante comme la voix de la conscience qui
s'éveille, parvint dans leurs oreilles dressées de peur.

-Alfred! Emile! Blondel! allons donc, messieurs! où êtes-vous tous les
trois!

Personne n'osa souffler.

-Bientôt des pas d'homme approchent. Monsieur Le Fémi, poussé par un
battement de coeur de père, une arrière-crainte qu'il n'avait pas encore
sentie, atteint le bout de l'allée: il pousse un cri sourd en voyant
la fenêtre entr'ouverte. Il n'attend pas le porteur qui le suit chargé
d'une énorme caisse d'emplettes rares.

Sans prendre le temps d'ouvrir la porte dont il tient la clé dans sa
main qui tremble, il apparaît comme un Dieu terrible... et sauveur, aux
yeux des sauvages qui tombent à genoux, eux et leurs plumes, humiliés
dans la poussière.

Un coup d'oeil rapide jeté sur leur costume, qui l'eût fait rire, s'il
ne l'eût épouvanté, fait jaillir dans son âme une pensée funeste qui
surmonte son indignation.

-Qu'avez-vous fait! s'écrie-t-il, vous surtout, Alfred, vous l'aîné, le
premier après moi, pour les guider, méchant garçon!

-Il est blessé! répondent en sanglotant ses frères, montrant le doigt
entr'ouvert d'Alfred, pâle et muet de souffrance.

-Terreur! pitié! blessé! par quoi?

-Par cela! dit Blondel, l'anthropophage, montrant la flèche plus grande
que lui.

Un vertige saisit le père, qui chancela plus pâle qu'Alfred.

-Enfant!... misérable...! non! mon fils! bégaye-t-il d'une langue sèche
de frayeur, en soulevant de terre son malheureux Alfred! Viens ici. Du
courage, entends-tu, ou tu es mort dans une heure, et si tu meurs, je
meurs, entends-tu, je meurs!-J'aurai du courage, mon père, dit le
coupable, fais ce que tu veux.-Tenez cet enfant, monsieur... mon ami!
tenez-le ferme entre vos genoux! dit M. Le Fémi en appelant au secours
le porteur, qui franchit la fenêtre, ému, ce brave homme, de la terreur
peinte dans les yeux du naturaliste qui atteignait une hache d'armes du
moyen-âge.

-Alfred, répète-t-il à l'enfant immobile, il faut que je te coupe le
doigt.

-Coupe! dit Alfred, en l'avançant lui-même.

-Ah! mon frère!

-Ah! monsieur! crièrent les enfants et l'homme épouvantés.

-Pas une seconde à perdre, la flèche est empoisonnée. Ferme donc!... et
le doigt tomba.

-Tu le garderas, dit Alfred, sans faiblir.

Les plus jeunes tremblaient sous leurs plumes tandis que le père, dans
un sublime sang-froid, brûlait la plaie vive de son fils qu'il disputait
à la mort. La force humaine n'alla pas plus loin: et quand il eut
terminé cette opération pour laquelle Dieu le soutenait, il serra
convulsivement la tête d'Alfred sur sa poitrine, et perdit connaissance.

Ce ne fut que longtemps après ce jour, dont l'impression forte et
salutaire est encore gravée chez ces enfants corrigés, que la mère
d'Alfred apprit l'événement qui s'était passé si près de sa chambre.
Malade alors, elle n'en sortait pas. L'enfant ne se plaignit point, ne
versa point de larmes, quand elle s'aperçut avec de vives craintes qu'il
avait la main enveloppée:-Ce n'est rien, ma mère, rien du tout, dit-il
en s'enfuyant pour ne pas lui donner le saisissement d'une telle vue. Il
chanta même de toutes ses forces, ce qui rassura et fit sourire la mère.

Mais il pleura, oh! il pleura beaucoup avec son père, parce que ce bon
père en voulant faire des reproches justes à son garçon, fut tout-à-coup
étranglé par des sanglots qui firent tomber Alfred à ses pieds. Il les
mouilla de larmes.

-Oui! pleure! pleure! dit-il; nous pouvons être un moment faibles l'un
devant l'autre: nous avons eu l'un pour l'autre tant de courage!
Revenir en haut Aller en bas
 
Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) LES PETITS SAUVAGES
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) LE PETIT BÈGUE. II. LES PETITS NAGEURS.
» Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) L'AUMÔNE
» Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) Dors-tu ?
» Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) PRIÈRE.
» Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) ROMANCES TOI !

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: