MINETTE.
Ah! que j'ai vu une triste chose! Il m'en coûte beaucoup de vous la
raconter; mais elle peut servir de leçon à quelques enfants, si par
malheur, il s'en rencontrait encore de pareils à Minette. J'en prends
donc le courage.
Minette passait chaque année une partie des vacances chez une amie de sa
mère, car Minette était en pension, parce que sa mère avait des enfants
très petits à élever. Il faut bien vous avouer que Minette révélait un
caractère si absolu, si despotique, à sept ans que force était déjà de
soustraire de plus faibles créatures à sa domination. Hyacinthe était
de son âge, et bien qu'elle fut liante et bonne comme un agneau,
mademoiselle Minette était bien obligée de faire, suivant l'expression,
patte de velours, car Hyacinthe était calme et forte. La douce
simplicité de son caractère se rehaussait des dehors les plus beaux;
leur aimable puissance s'exerçait sur Minette elle même qui n'osait
que bien rarement lui dire: je veux! mais, par combien de ruses,
l'orgueilleuse ambition de son amitié arrivait-elle au but d'asservir
tout ce qui avait le malheur de lui plaire! je dis le malheur, car, j'en
connais peu qui fatiguent le coeur plus qu'une amitié tyrannique.
Nous n'avons pas le droit d'opprimer nos amis.
Ainsi donc, bien que la complaisance d'Hyacinthe fut charmante pour les
mobiles fantaisies de Minette, on ne craignait pas qu'elle en souffrit,
car elle cédait toujours avec le sourire sur les lèvres.
Personne ne s'apercevait des mille petits sacrifices qu'elle faisait à
la tenace persévérance de sa bonne amie; elle-même ne s'en doutait pas
peut-être, car elle y trouvait, je ne sais quel plaisir tranquille qu'un
bon coeur goûte à voir les autres heureux de l'abnégation de ses goûts.
Vraiment, Hyacinthe était une aimable enfant!
On courait un jour dans le jardin, on se jetait des fleurs; Minette en
avait déraciné un bon nombre, pour les replanter suivant le caprice
de son goût sans utilité, sans réflexion que l'idée fixe: je le veux!
Minette était inflexible et légère; rapide et raide comme un papillon de
fer. Quel bonheur avec une telle organisation, (qu'elle ne songeait pas
à corriger, parce qu'elle se trouvait, parfaite), quel bonheur de
ne s'appuyer que sur des relations moelleuses Sur l'inépuisable
condescendance de la belle Hyacinthe, qui, n'opposait au dégât de ses
fleurs qu'un sourire un peu triste, un regard où se montrait à peine un
reproche mélancolique, et que Minette ne voyait pas, car elle était
à son affaire, à son système de régner partout, même en écrasant des
fleurs. Mais le jardinier le voyait, lui! et il avait pris Minette en
horreur. Minette le méritait, car, un jour que cet homme avait prié
poliment la bouleversante petite fille de laisser ses plantes et ses
arbustes en repos, elle l'avait regardé de toute la hauteur de ses trois
pieds et demi, en disant d'un ton bref: qu'est-ce que c'est que cet
homme-là?-C'est Roch le jardinier, avait répondu Hyacinthe, d'une voix
pleine d'aménité.
-Eh bien! jardinier, je m'amuse! voilà!
Eh bien! murmura le jardinier en la regardant de travers, ça fait un
fier petit paquet d'ortie: voilà!
Minette devint rouge comme une pivoine qu'elle venait de cueillir; elle
la tordit dans ses mains, que la colère faisait ressembler à des petites
griffes, ce mouvement furieux d'orgueil fit rire Hyacinthe, qui n'en
comprenait pas la souffrance! car l'orgueil fait mal comme une aiguille,
quand il n'est pas content. Il faut toujours qu'il danse sur la tête des
autres, pour ne pas se retourner contre le cour: c'est un ver malsain à
la vie, prenez-y garde.
-Tu ris, toi! dit Minette avec du feu dans les yeux et eu poussant
Hyacinthe qui chancela.
-Tu m'as poussée! dit la douce enfant la poitrine gonflée de surprise.
-Non! je ne ne l'ai pas poussée, répartit Minette vivement.
-Si! tu m'as poussée! et deux larmes ruisselèrent sur ses mains que
serrait impatiemment Minette, en lui criant d'une voix altérée:-Dis que
je ne t'ai pas poussée! dis que je ne t'ai pas poussée!
-Je l'ai cru, dit naïvement Hyacinthe. Si non, je ne l'aurais jamais
inventé.
-D'ailleurs, tu ne m'aimes pas, toi! reprit Minette en boudant.
-Si! je t'aime!
-Non! tu ne m'aimes pas, puisque tu ris quand on me dit des mots.
-Je n'ai pas ri de cela, parce que tu avais commencé, et que Roch est
bon! mais c'est que tu avais l'air de faire exprès des gestes, comme en
jouant à prêchi, prêcha!
-Bien sûr! dit Minette en levant son doigt.
-Oui! bien sûr! et l'on s'embrassa.
Si tu m'aimes, tu feras tout ce que je voudrais; n'est-ce pas? reprit
avec réflexion Minette en câlinant.
-Tout ce que je pourrai, sans faire de mal à personne.
-Bien entendu, nigaude; est-ce que je suis méchante, moi? et Minette
avait un désir singulier d'obtenir une grande preuve d'amitié,
d'obéissance peut-être, de cette compagne qu'elle avait vu rire d'elle.
Tiens, dit-elle en cueillant une herbe laiteuse et d'un vert gracieux;
si tu m'aimes, frotte tes joues avec ce bouquet: cela pique un peu, et
ce sera un gage.
-Quelle idée! si cela pique.
-Je t'en prie! je t'en prie! pour être sûre de toi.
Hyacinthe ne se fit pas presser davantage, et sans redouter une légère
piqûre, elle broya l'herbe sur son charmant visage. Minette dansa!
C'était du tithymale, connu sous le nom d'éclair, dont le suc violent
et corrosif, par une trompeuse ressemblance avec la crème, peut causer
les maux les plus cuisants, si on l'applique sur une chair tendre et
délicate. La fraîcheur du soir arrêta d'abord l'effet douloureux de
l'herbe. Cependant une inquiétude involontaire agitait l'enfant qui
passait à chaque instant les mains sur ses joues et son menton plus
blanc, plus rose qu'à l'ordinaire. Mais la lumière, qui pâlit tout,
atténuait l'éclat de cette nuance fiévreuse qui la rendit d'abord plus
belle en faisant scintiller ses yeux d'une flamme souffrante.
Oui, elle commençait à souffrir; mais sans le démêler clairement, sans
se plaindre surtout, disant dans son cour:
Bah! ce sera bientôt fini. Minette est ma bonne amie: elle n'aurait pas
voulu me faire du mal.
Minette mangeait des fraises. Hyacinthe la regardait se détournant
souvent pour gratter sa figure et une fois aussi pour pleurer.
La nuit, ce fut terrible. Elle rêvait des choses qui font peur, des
chats qui sautent aux yeux, des oiseaux qui dorment des coups de bec:
enfin toutes sortes de bêtes méchantes que la fièvre invente et jette
dans les songes des plus innocentes créatures. Minette dormait du
sommeil du juste: elle n'entendit pas une des plaintes étouffées de
sa pauvre petite victime, dont la mère fut éveillée avec un sentiment
profond d'effroi.
D'abord elle prêta l'oreille en s'appuyant sur son coeur qui battait;
puis, cette voix chère et gémissante la remplit de saisissement. Elle
alla dans la chambre voisine droit au lit de sa fille, comme si cette
chambre eût été pleine de lumière. Hyacinthe était assise sur son lit
dormant et pleurant tout ensemble; ses deux mains déchiraient, sans le
savoir, ce doux visage brûlant, baigné d'autant de sang que de larmes.
Sa mère ne recevant pas de réponse et l'entendant gémir, approcha d'elle
une veilleuse allumée toutes les nuits pour la sécurité de la maison:
douleur d'une mère! vous la figurez-vous, quand la lueur de cette
lampe n'éclaira qu'un monstre couvert d'ampoules noires et sanglantes!
Hyacinthe avait la tête grosse, grosse! comme je ne sais quoi, car elle
était très-grosse.
Dieu sauveur! dit sa mère toute défaillante, mon enfant! ma fille!
qu'avez-vous? Ah! Ferdinand! cria-t-elle à son fils aîné qui était
accouru à ses cris douloureux, Hyacinthe a la petite vérole, regardez,
comme la voilà!»
Ce jeune homme qui était un très-bon frère, ne put contenir son effroi
et réveilla tout-à-fait la petite fiévreuse, dont il retenait les mains
dans les siennes.
«-Oh! laisse! laisse! mon bon Ferdinand, dit-elle, laissent moi ôter
ces mouches qui me piquent, ou bien, ôte-les, toi! Seigneur! Seigneur!
que j'ai du mal! où est maman? je croyais qu'elle parlait aussi dans mon
rêve.»
Sa mère resta bien épouvantée, car elle était juste devant elle; ce qui
lui fit dire avec un frisson froid par le corps:-Ma fille est devenue
aveugle!
Tout fut dans une grande agitation jusqu'au jour, comme vous pouvez
croire. Il était trop vrai qu'Hyacinthe ne pouvait ouvrir les yeux
qu'avec des peines infinies et disait des mots si touchants que le coeur
de sa mère s'ouvrait. Enfin, dès que le jour parut, Ferdinand la conjura
de se calmer *** meilleur médecin de la terre pour soulager leur petite
bien aimée.
Hyacinthe l'attirant doucement vers elle se pencha sur son épaule pour
parler dans son oreille:
-Ne va pas chez un médecin, dit-elle il n'y a que Minette qui puisse me
guérir. Dis-lui de venir me voir, Ferdinand: elle m'ôtera bien vite mon
mal, va!
Ferdinand ému d'un vague soupçon fit en toute hâte lever mademoiselle
Minette par la bonne, et attendit impatiemment à la porte jusqu'à ce
qu'elle fût habillée.
-Venez! Minette, venez! dit-il d'un air troublé, on a besoin de vous
auprès du lit de ma soeur.
-À peine Hyacinthe entendît-elle sa petite amie, qui demandait avec
effroi:
-Besoin de moi? Ah!... pourquoi...?
qu'elle s'élança de son lit les bras ouverts devant Minette, en disant
tristement:
-Voilà comme je suis!»
Un cri d'horreur répondit seul à ce touchant appel: Minette s'enfuit
sans vouloir embrasser Hyacinthe, et descendit quatre à quatre les
escaliers en répétant.-Non! j'ai peur! non! j'ai peur!
Sa mauvaise action avait pris en effet une figure bien effrayante
pour la punir; mais s'en aller! fuir devant la prière sans reproche
d'Hyacinthe! Ah! c'était affreux! c'était lâche, c'était encore la
sécheresse de l'orgueil! Je vous dis que l'orgueil est sans pitié. Il
n'en a pas même pour ceux, qui le nourrissent, ce serpent! Qui, dans
le monde, si ce n'est Minette, ne fut tombé à genoux et n'eût pleuré
à chaudes larmes devant l'énorme tête de son innocente compagne? Les
larmes, dit-on ne guérissent pas. Non; mais elles désarment; et l'on
n'eût pas vu ce que l'on a vu, si Minette n'eût été, par ce dégoût hors
de raison, jugée indigne de toute pitié.
Ferdinand avec la promptitude d'un garçon de quatorze ans, que l'on
irrite dans ses amitiés, (car sa mère et sa soeur étaient ce qu'il
aimait le mieux dans l'univers) s'élança à la poursuite de la fuyarde et
l'atteignit au bout du jardin, où Roch replantait tout ce qu'elle avait
abîmé la veille. Ferdinand brûlait d'éclaircir le soupçon qu'il avait
contre cette petite griffe, assez connue déjà dans le monde, (bien
qu'elle n'y fût que depuis sept ans) pour ne pas inspirer grande
confiance. La réputation d'une longue vie commence de bien bonne heure
dans les familles.
-C'est vous! dit Ferdinand qui avait saisi la petite fille effarée,
c'est vous qui pouvez guérir ma soeur: Voyons, est-ce vous?
-Je ne peux pas la guérir, non, laissez-moi, criait-elle en se tordant.
Ahie! je veux m'en aller!
-Oui! tout de suite. Mais quand vous m'aurez avoué ce que vous avez
fait à ma soeur.
-Rien du tout! dit-elle un peu pâle, et les lèvres amincies: est-ce ma
faute si elle en a trop mis! je veux m'en aller.
-Ferdinand! Ferdinand! dit sa mère en l'appelant de la fenêtre, laissez
cette petite. Le médecin! mon ami, le médecin!»
Et Roch, appuyé sur sa bêche, regardait avec un grand sang-froid l'heure
de la justice qui allait sonner pour Minette; des dames aussi, dont les
jardins entouraient celui-là, regardaient également de leurs fenêtre
l'acte de justice qui s'accomplissait alors.
-Le médecin, ma mère! répondit Ferdinand à voix haute, le voilà, tenez,
le voilà! poursuivit-il en levant en l'air par les bras, la furieuse
Minette qui battait des pieds à vide, pour échapper à Ferdinand.
-Vous savez bien, reprit-il que la vipère guérit sa piqûre quand on
l'écrase dessus.
Alors, inflexible et fort, il interroge de nouveau cette nuisible
enfant. Elle avoue son crime, entremêlant sa confession de hurlements,
qui disaient: je veux m'en aller! je le dirai à maman! je vous ferai
battre par maman!»
Ce qu'il me reste à vous dire me fait perdre la respiration. Minette,
au milieu du jardin entouré de fenêtres peuplées de spectateurs, devant
Roch, qui en replanta ses fleurs avec plus de courage, Minette fut
fouettée! fouettée par un frère qui venge sa soeur, et qui y va de toute
son ame, au bruit des applaudissements des spectateurs indignés: et
tout en elle, tout! jusqu'à sa jupe, en demeura immobile, pétrifié
de honte.-Il faut tirer le rideau sur la fin de cette scène. On la
reconduisit en voiture chez ses parents, ou à sa pension, n'importe.
Ainsi tout lien fut rompu entre deux maisons qui s'aimaient avant la
naissance de Minette!
Une quantité prodigieuse de lait, sa soumission à se baigner le visage,
et les soins de ses amis rendirent à Hyacinthe la vue et la santé. Ce
fut la seule qui pleura de l'humiliation de Minette.