PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) LA DÉSERTION. I.

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité




Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859)  LA DÉSERTION.  I. Empty
MessageSujet: Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) LA DÉSERTION. I.   Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859)  LA DÉSERTION.  I. Icon_minitimeSam 6 Oct - 15:58

LA DÉSERTION.

I.

«Huit ans, fluet, rose, bien mis; une montre d'étain en sautoir, une
pièce de dix sous toute neuve et des billes dans sa poche.»

Tel était le signalement passé de main en main, depuis le faubourg
Poissonnière jusqu'à la barrière du Temple, d'un petit garçon, sans
chapeau, qui avait disparu le matin de chez son père: on ne voulait pas
le croire. On disait: «c'est impossible! un enfant ne quitte pas son
père.»

Quelqu'un répondait:-Si! si! on l'a vu passer sans chapeau, en petit
garnement, criant en confidence à un écolier qui l'appelait pour jouer
aux billes: «-Je n'ai pas le temps: je fais l'école buissonnière. Ne
dis pas que je vais chez ma tante, à Dammartin. Ah! ah! J'ai pris mon
parti? ne le dis pas.»

Il y avait une foule de voisins aux portes qui racontaient ou qui
écoutaient ce départ dont l'imagination était frappée comme d'un
sinistre présage. Une vieille qu'on croyait comme l'Evangile disait:

-Cela annonce une révolution. L'enfant qui déserte la maison de son
père, c'est les hirondelles qui s'envolent d'un toit. Ne me parlez
jamais de choses pareilles; elles portent malheur! Tout le monde
frissonnait.

-C'est-à-dire qu'elles portent malheur aux hirondelles et aux enfants,
repartit l'épicier qui combattait pour son compte un augure si menaçant.
Il ne faut pas croire que les honnêtes gens doivent payer pour les
mauvais sujets.

-A présent, cherche!» interrompit celui qu'on avait mis à la poursuite
du fuyard, et il se mit à courir, le signalement à la main, poussant
tout le monde, qui s'arrêtait de surprise, disant:

-Qu'est-ce qu'il a donc?-Je cherche un enfant, répliquait l'homme,
moitié triste et moitié colère: un gamin, que si je le tenais! «Huit
ans, fluet, rose, bien mis; une montre d'étain en sautoir, une pièce
de dix sous toute neuve et des billes dans sa poche!» Enfin tout le
signalement. Quel scandale sur le boulevard! Quel étonnement pour tous
les curieux à qui cet homme racontait que l'enfant, qu'il osait à peine
nommer Oscar, évitant d'ajouter le nom de son père, s'enfuyait de sa
famille, pour avoir reçu le fouet; et si peu, si peu, que sa mère
n'avait fait que semblant! Les curieux étaient confondus.

Pendant cela, monsieur Oscar courait comme un brûlé, croyant n'atteindre
le bonheur qu'après avoir franchi la barrière. Il passa roide et prompt,
sans chapeau, sans passeport, ce qui est d'une audace inouïe, jetant
la plume au vent; ou, pour parler mieux encore suivant son aspect
dévergondé, jetant son bonnet par-dessus les moulins. Il y avait un tel
parti pris dans son aspect de désordre, qu'on l'eût pris pour Christophe
Colomb courant à la conquête d'un nouveau monde.

Il fuyait l'école, il allait chez sa tante, et il avait dix sous!
l'espace, le temps, la fatigue, tout disparaissait devant ses téméraires
espérances.

-Ma tante, disait-il en lui-même, en fendant l'air qui faisait voler
ses cheveux blonds, ma tante me donnera un chapeau. Elle me donnera cent
chapeaux: c'est ma tante! c'est riche, une tante! et elle ne me donnera
pas le fouet. J'aurai tout ce que j'avais quand je demeurais chez ma
mère; des tartes, des galettes, des cerfs-volants, (j'en veux douze de
cerfs-volants!) et je n'irai plus à l'école, où l'on devient bête. Je
ferai un buisson tous les jours; je courrai avec Pierre; je me battrai
avec François, j'irai nager avec le cheval. C'est bien mieux! d'ici-là,
je trouverai à manger, quand je passerai devant les pâtissiers, ils me
donneront des gâteaux. On a tout avec de l'argent: mon père l'a dit.
Et j'ai une pièce blanche! on crie toujours que ma tante est mon
coupe-gorge; mais j'aime mieux ma tante, moi! ma tante n'a pas de
livres. Oh! ma tante! vive ma tante!

Il marche! il marche!

Des arbres passaient devant lui, fuyaient derrière comme sur un plancher
à coulisse. Des moutons, des vaches, des champs où les blés flottaient,
où les fleurs brillaient; tout glissait sous ses yeux par la rapidité
de sa course. Mais point de maisons, point de pâtissiers! seulement des
flots de poussière qu'il levait avec ses pieds, et qui séchaient sa
gorge, parce que d'abord il avait chanté la Parisienne et tout!

Il marche! il marche!

A la fin, quelques chaumières apparaissent sur le chemin. Ses regards
affamés se portent vers les enseignes, point d'enseignes! enfin, au
milieu de quelques paires de sabots, de harengs saurs et de savon vert,
trois brioches de campagne et des oeufs rouges de Pâques dernières
raniment le voyageur épuisé. Il paie sans marchander la somme qu'on
lui demande de ces denrées desséchées au soleil, puis il remet, comme
l'homme errant de l'écriture, cinq sous dans sa poche. Il croit, comme
le juif maudit, que ces cinq sous se renouvelleront: vous allez voir.

Quoiqu'il en soit, il mange les oeufs durs et les brioches qui
tombent en poussière, et reprend haleine un moment devant une femme à
demi-stupide, qui le regarde baigné de sueur et défiguré de poussière,
sans s'inquiéter ni d'où vient, ni où va ce petit arpenteur de grand
chemin.

-Pour aller chez ma tante, dit-il, c'est-il encore loin?

-Quelle tante? demande la maîtresse de ce bazar de hameau.

-Ma tante, quoi! ma tante Dorothée Carbonnel.

-Je ne sais pas ce nom là, repart la femme insoucieuse en se remettant
à tirer le lin d'une quenouille de chanvre.

-«Mais, ma tante Dorothée Carbonnel, comment! repart Oscar qui ne
comprend pas que sa tante soit inconnue à quelqu'un dans le monde, elle
est à Dammartin, ma tante! et c'est ma tante.»

-«Ah ben! faut que vous retourniez sur vous, et puis prendre la fourche
à votre main droite, et ce sera par là. Y aura toujours quéque laboureur
en champ pour vous montrer.»

Oscar dérouté et las du repos même qu'il avait pris, car il en sentait
mieux sa fatigue, rebrousse chemin. Alors le soleil lui donna en plein
dans la figure, sans chapeau, sans quelques larges feuilles pour cacher
un peu sa tête qui bout comme au milieu de la chaudière de midi; c'est
à tomber sur place; aussi lève-t il pesamment cette poussière qu'il
faisait voler naguère avec tant d'insolence.

Une inquiétude brûlante le dévore sans qu'il y trouve un nom; car tant
de choses déjà tournent dans son isolement, qu'il souffre sans pouvoir
dire de quoi: c'est la soif! il se ressouvient qu'il a oublié de boire,
après le repas d'une nourriture fanée et altérante. Ah! c'est là un
commencement de désespoir. Il donnerait, ses cinq sous sans chanceler
pour un verre d'eau de la source, où sa tante puise de si larges
cruches, dont l'image fraîche et bouillonnante qui se met tout à coup
devant lui, attise le feu mêlé à son haleine. Personne sur cette
route consumante! Le désert se montre devant lui! Oh! que les prêtres
espagnols pourraient dire de lui, ce qu'ils disaient à Montézuma: Les
dieux ont soif!...

Cependant, avec la persévérance digne d'un autre but, il fait le signe
de la croix pour s'assurer où est sa main droite, et entre dans un
chemin un peu moins aride. Il avait entrevu au loin, une voiture qui
venait du côté de Paris, et plutôt périr que de rencontrer rien de ce
qui venait de Paris, car ce ne pouvait être, selon lui, qu'une école,
des livres ou le fouet!

Il pénètre donc dans un chemin de traverse, où quelques haies lui
donnent d'abord l'espérance d'un ruisseau: bientôt cette fraîche idée se
sèche et peut-être qu'il se fut ainsi calciné au milieu d'un chemin sous
le soleil vengeur qui dardait à plomb sur lui, si son ange gardien qui
devait être pourtant bien fâché, n'eût arrosé son joli visage d'un
déluge de larmes qui vinrent du coeur; car ce coeur crevait. On a beau
faire et beau dire, on ne peut porter à la fois une mauvaise action,
la solitude et la soif. Il y avait dans ce petit garçon, la désolation
profonde qui se trouve au fond de tous les coups de tête où porte
l'ingratitude. Il s'arrête, ébloui, se lavant avec ses larmes de la
poussière incrustée dans ses joues; ce bain naturel en dégonflant sa
poitrine, détend un moment la peau rose et tendre de sa figure déjà
moins hardie. Il s'avoue même pour la première fois que sa mère ne lui
faisait pas le moindre mal quand elle disait qu'elle le fouettait; que
c'était vraiment l'ombre du fouet. Il se l'avoue, car enfin, sa tante
était très-loin... sa position était déplorable, la porte de l'école ne
trouble plus son jugement. Il est donc là sous l'oeil de Dieu et devant
sa conscience: la vérité étincelle nue au soleil; il soupire:-ah!

Je crois que vous ne serez pas fâché de le laisser là un moment tout
seul, d'autant plus qu'à force de marcher il arrive à la fin près d'un
moulin qui tourne dans une écluse. Ce bruit limpide et les flots d'écume
qui jaillissent, sous un petit pont jusqu'à sa personne penchée en
avant, lui rendent la vie, la force et l'étrange imprudence que nous ne
saurons que trop tôt, avec ses suites méritées.
Revenir en haut Aller en bas
 
Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) LA DÉSERTION. I.
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) Malheur à moi
» Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) L'EMPRUNTEUR.
» Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) MINETTE.
» Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) FRAGMENTS ON ME L'A DIT
» Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) L'ÉCOLIER.

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: