ELEGIES LES ROSEAUX
à ma soeur
deux roseaux dans les airs entrelaçaient leurs jours
et leurs nuits ; ils pliaient, ils balançaient leur
tête
ensemble ; agenouillés aux pieds de la tempête,
ils ne se faisaient qu' un pour être à deux toujours !
L' amitié n' eut jamais de plus étroite chaîne,
au monde on n' a rien vu de mieux uni jamais,
on eût dit qu' ils s' aimaient jusqu' à manquer d' haleine ;
je ne les plaignais pas d' être roseaux, j' aimais !
Et de ce frais hymen montait une harmonie
qui parlait ! Qui chantait ! Triste, intime, infinie,
quand leur sort haletant demandait au soleil
de leur donner un jour encore, un jour vermeil !
Sitôt qu' apparaissaient l' aube et sa soeur l' aurore,
" quel bonheur ! Disait l' un, je vois le ciel encore,
je vous vois ! " l' autre aussi répondait : " quel
bonheur !
Mais j' étais bien pourtant, j' étais sur votre coeur ! "
le vieux chêne au coeur dur, vert géant du rivage,
de son calme escarpé souriait de les voir :
on ne peut contempler l' amour sans s' émouvoir,
et tout célibataire a rêvé d' esclavage,
de cette molle étreinte où tremblaient les roseaux,
battus des mêmes vents, lavés des mêmes eaux.
Souvent d' un rossignol la nocturne prière
descendait se mouiller dans leurs frissons charmants ;
souvent, quelque âme veuve y pleura la dernière
avant de s' envoler où vont les vrais amants.
Un homme passe : adieu l' union solitaire,
adieu la pauvre amour, doux ciment de la terre !
L' homme passe et dans l' air veut souffler une voix :
l' homme est triste ; un roseau va gémir sous ses doigts.
Leurs noeuds entrelacés dans l' eau se déchirèrent.
Du roseau qui s' en va les racines pleurèrent.
Enhardi de frayeur, l' autre voulut courir ;
il tomba. Tomber seul, c' est tomber pour mourir !