A Crémazie
"Vers lus lors de l'inauguration du monument
Crémazie au square St-Louis."
Poète, tu vois, la terre est en fleurs,
C'est le mois de juin, le mois des couleurs,
Des métamorphoses;
Celui qui pressent déjà les moissons,
Le mois qui dans l'air suspend les chansons
Sur l'âme des choses.
C'est le règne des reflets infinis;
Le recueillement des bois et des nids,
Le rappel des ombres,
Les mystérieux gazouillis d'amour
Dans les frondaisons des pins dont le jour
Dore les fils sombres.
Moi des souvenirs, poète, celui
Qui joyeusement nous prête aujourd'hui,
Dans sa clarté douce,
Pour glorifier ton buste en ce lieu,
Un pan de verdure, un coin de ciel bleu,
Un tapis de mousse.
Le reconnais-tu, ce beau ciel d'été?
C'est lui que ta voix jadis a chanté,
Fière et solennelle.
Avant que par le malheur terrassé
Ton Génie, ainsi qu'un aigle blessé,
Eût fermé son aile.
Tu t'en es allé mourir près des flots
Dont les bruits amers couvraient tes sanglots
Criés sur les grèves,
Espérant toujours, des embruns jaillis,
Les murmures doux des vers du pays
Pour bercer tes rêves.
Tu n'as pas en vain, poète, espéré,
Car tout chante autour du bronze inspiré
Qui te fait revivre;
Qu'importe un passé douloureux, tu viens
Reprendre ta place au milieu des tiens
Que ta joie enivre.
Dans les nuits ainsi que dans les rayons,
Parmi les oiseaux et les papillons
Dont le vol t'effleure,
Sous un toit chargé d'aromes subtils,
Sans craindre à jamais de nouveaux exils,
Maintenant demeure !
Demeure, ô poète, et si quelquefois
La neige interrompt le concert des bois
Ou de l'hirondelle,
Attends les réveils qui ne tardent pas,
Et sache, oublié d'hier, qu'ici-bas
Tout se renouvelle.