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 Alfred de Vigny (1797-1863) LE DÉLUGE I I

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MessageSujet: Alfred de Vigny (1797-1863) LE DÉLUGE I I   Alfred de Vigny (1797-1863) LE DÉLUGE  I I Icon_minitimeJeu 1 Nov - 15:48

II

LE DÉLUGE.

165 Tous les vents mugissaient, les montagnes tremblèrent,
Des fleuves arrêtés les vagues reculèrent,
Et du sombre horizon dépassant la hauteur,
Des vengeances de Dieu l'immense exécuteur,
L'Océan apparut. Bouillonnant et superbe,
170 Entraînant les forêts comme le sable et l'herbe,
De la plaine inondée envahissant le fond,
Il se couche en vainqueur dans le désert profond,
Apportant avec lui comme de grands trophées
Les débris inconnus des villes étouffées,
175 Et là bientôt plus calme en son accroissement,
Semble, dans ses travaux, s'arrêter un moment,
Et se plaire à mêler, à briser sur son onde
Les membres arrachés au cadavre du Monde.

Ce fut alors qu'on vit des hôtes inconnus
180 Sur les bords étrangers tout à coup survenus;
Le cèdre jusqu'au Nord vint écraser le saule;
Les ours noyés, flottants sur les glaçons du pôle,
Heurtèrent l'éléphant près du Nil endormi,
Et le monstre, que l'eau soulevait à demi,
185 S'étonna d'écraser, dans sa lutte contre elle,
Une vague où nageaient le tigre et la gazelle.
En vain des larges flots repoussant les premiers,
Sa trompe tournoyante arracha les palmiers;
Il fut roulé comme eux dans les plaines torrides,
190 Regrettant ses roseaux et ses sables arides,
Et de ses hauts bambous le lit flexible et vert,
Et jusqu'au vent de flamme exilé du désert.

Dans l'effroi général de toute créature,
La plus féroce même oubliait sa nature;
195 Les animaux n'osaient ni ramper ni courir;
Chacun d'eux résigné se coucha pour mourir,
En vain fuyant aux cieux l'eau sur ses rocs venue
L'aigle tomba des airs, repoussé par la nue.
Le péril confondit tous les êtres tremblants.
200 L'homme seul se livrait à des projets sanglants.
Quelques rares vaisseaux qui se faisaient la guerre,
Se disputaient longtemps les restes de la terre;
Mais, pendant leurs combats, les flots non ralentis
Effaçaient à leurs yeux ces restes engloutis.
205 Alors un ennemi plus terrible que l'onde
Vint achever partout la défaite du monde;
La faim de tous les coeurs chassa les passions;
Les malheureux, vivants après leurs nations,
N'avaient qu'une pensée, effroyable torture,
210 L'approche de la mort, la mort sans sépulture.
On vit sur un esquif, de mers en mers jeté,
L'oeil affamé du fort sur le faible arrêté;
Des femmes, à grands cris, insultant la nature,
Y réclamaient du sort leur humaine pâture;
215 L'athée, épouvanté de voir Dieu triomphant,
Puisait un jour de vie aux veines d'un enfant;
Des derniers réprouvés telle fut l'agonie.
L'amour survivait seul à la bonté bannie;
Ceux qu'unissaient entre eux des serments mutuels,
220 Et que persécutait la haine des mortels,
S'offraient ensemble à l'onde avec un front tranquille,
Et contre leurs douleurs trouvaient un même asile.

Mais sur le mont Arar, encor loin du trépas,
Pour sauver ses enfants l'ange ne venait pas;
225 En vain le cherchaient-ils : les vents et les orages
N'apportaient sur leurs fronts que de sombres nuages.

Cependant sous les flots montés également
Tout avait par degrés disparu lentement :
Les cités n'étaient plus, rien ne vivait, et l'onde
230 Ne donnait qu'un aspect à la face du monde.
Seulement quelquefois sur l'élément profond
Un palais englouti montrait l'or de son front;
Quelques dômes, pareils à de magiques îles,
Restaient pour attester la splendeur de leurs villes.
235 Là parurent encore un moment deux mortels :
L'un, la honte d'un trône, et l'autre, des autels;
L'un se tenant au bras de sa propre statue,
L'autre au temple élevé d'une idole abattue.
Tous deux jusqu'à la mort s'accusèrent en vain
240 De l'avoir attirée avec le flot divin.
Plus loin, et contemplant la solitude humide,
Mourait un autre roi, seul sur sa pyramide.
Dans l'immense tombeau, s'était d'abord sauvé
Tout son peuple ouvrier qui l'avait élevé;
245 Mais la mer implacable, en fouillant dans les tombes,
Avait tout arraché du fond des catacombes;
Les mourants et les dieux, les spectres immortels,
Et la race embaumée, et le sphinx des autels;
Et ce roi fut jeté sur les sombres momies
250 Qui dans leurs lits flottants se heurtaient endormies.
Expirant, il gémit de voir à son côté
Passer ses demi-dieux sans immortalité,
Dérobés à la mort, mais reconquis par elle
Sous les palais profonds de leur tombe éternelle;
255 Il eut le temps encor de penser une fois
Que nul ne saurait plus le nom de tant de rois,
Qu'un seul jour désormais comprendrait leur histoire,
Car la postérité mourait avec leur gloire.

L'arche de Dieu passa comme un palais errant.
260 Le voyant assiégé par les flots du courant,
Le dernier des enfants de la famille élue
Lui tendit en secret sa main irrésolue,
Mais d'un dernier effort : " Va-t'en, lui cria-t-il :
De ton lâche salut je refuse l'exil;
265 Va, sur quelques rochers qu'aura dédaignés l'onde,
Construire tes cités sur le tombeau du monde;
Mon peuple mort est 1à, sous la mer je suis roi.
Moins coupables que ceux qui descendront de toi,
Pour étonner tes fils sous ces plaines humides,
270 Mes géants [" Or, il y avait des géants sur la terre.
Car, depuis que les fils de Dieu eurent épousé les filles
des hommes, il en sortit des enfants fameux et puissants dans le siècle.
" (Genèse, ch. VI, V. 4)] glorieux laissent les pyramides;
Et sur le haut des monts leurs vastes ossements,
De ces rivaux du Ciel terribles monuments,
Trouvés dans les débris de la terre inondée,
Viendront humilier ta race dégradée. "
275 Il disait, s'essayant par le geste et la voix,
A l'air impérieux des hommes qui sont rois,
Quand, roulé sur la pierre et touché par la foudre,
Sur sa tombe immobile il fut réduit en poudre.

Mais sur le mont Arar l'ange ne venait pas;
280 L'eau faisait sur les rocs de gigantesques pas,
Et ses flots rugissants vers le mont solitaire
Apportaient avec eux tous les bruits du tonnerre.

Enfin le fléau lent qui frappait les humains
Couvrit le dernier point des oeuvres de leurs mains;
285 Les montagnes, bientôt par l'onde escaladées,
Cachèrent dans son sein leurs têtes inondées.
Le volcan s'éteignit, et le feu périssant
Voulut en vain y rendre un combat impuissant,
A l'élément vainqueur il céda le cratère,
290 Et sortit en fumant des veines de la Terre.
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